Le « E »… une histoire d’eau

L'eau est le plus important pour le chat, qui est réputé mauvais buveur.

Ainsi, le « E » de la méthode « g.u.E.P.A.R.D », c’est l’eau. Un grand E cette fois-ci, car le chat a un très gros problème avec l’eau. C’est le nutriment le plus important pour sa santé. C’est hélas le sujet dont on parle le moins. Et pour résoudre ce problème, il ne suffit pas de remplir consciencieusement le bol d’eau de votre chat, ou de le laisser boire au robinet. Pourquoi ? Retour sur ses origines.

Le chat est un animal du désert.

Originaire d’Afrique du Nord, Felis Domesticus a appris économiser l’eau. Il peut survivre de longues périodes sans boire. Une mauvaise habitude qui lui a valu la réputation de mauvais buveur. A la différence des grands fauves que l’on nous montre souvent en train de boire longuement dans une marre, le soir tombé.

La plus marquante des adaptations physiologiques du chat au milieu aride, est son aptitude à concentrer les urines. En situation extrême, la densité des urines d’un chat peut atteindre 1.085, quand l’eau de mer n’affiche que 1.028. Trois fois plus concentrée que l’eau de mer! C’est beaucoup plus que tous les autres animaux. On comprend davantage l’état de votre gazon quand le chat du voisin (pas le vôtre, évidemment) s’évertue à se soulager dessus !

D’où provient donc l’eau dont il a besoin? Pour l’essentiel, de son alimentation. Dans la nature, ses proies contiennent en moyenne 70 % d’eau… pour seulement 7 à 10 % dans les croquettes. Sur ce point, il est admis par tous les scientifiques qu’un chat nourri avec des croquettes compense à peine la moitié de l’eau manquante, en buvant. Mais ce n’est pas tout…

Les croquettes diminuent la digestibilité de l’eau.

La digestibilité caractérise le rendement digestif d’un nutriment, en tenant compte des pertes fécales. Cette notion est couramment utilisée pour les glucides, les protéines, les matières grasses, les minéraux ou les vitamines. Mais pas pour l’eau. Or, quand votre chat est nourri sur le mode « tout-croquettes », l’eau qu’il boit lui sert principalement à… augmenter le volume de ses selles !

C’est ce que tend à démontrer une des rares études portant sur les vertus supposées des fontaines à eau (1). Les propriétaires y voient un moyen d’encourager leur chat à boire. Dans notre expérience, les chats étaient nourris avec une alimentation sèche. On a pu vérifier qu’ils buvaient effectivement davantage en présence de fontaines à eau. Toutefois, leurs urines demeuraient toujours aussi concentrées qu’avant. Alors que le résultat espéré était d’obtenir des urines diluées, compatibles avec une meilleure hygiène urinaire.

Une explication possible serait que l’eau bue en plus grandes quantités est éliminée dans les selles. En effet, vous vous souvenez vous des petites éponges, les « g.u », les fibres hydrosolubles dont les industriels saupoudrent désormais largement les croquettes formulées pour les « boules de poil »(http://dietetichat.info/chats-regime-sans-glucides/). Et bien, elles hydratent les selles de votre chat, mais limitent d’autant la biodisponibilité de l’eau pour votre chat ! Tous ces détails contribuent à faire que les chats nourris aux croquettes sont sub-déshydratés, et cela de façon chronique.

Le chat doit trouver de l'eau par tout les moyen, et l'eau courante est très appréciée par lui.

Le chat a une vessie fragile.

Le barbotage dans les fontaines à eau a tout de même un avantage. C’est très fun et déstressant pour les chats. Or le stress est un facteur majeur dans la survenue des problèmes urinaires du chat. Un facteur si important au yeux de nombreux cliniciens, qu’il aurait même tendance à occulter le vrai problème, celui de l’abreuvement.

En effet, moins un chat boit, et plus ses urines sont concentrées. Mais au fait, elles concentrent quoi ses urines? Et bien, des sels minéraux. Tout comme l’eau de mer qui concentre le sel. Parmi ces minéraux, nous avons du magnésium, de l’ammonium et des ions phosphates. Et la concentration favorise les rencontres. On a découvert récemment que c’était une protéine excrétée en grande quantité dans les urines de chat (la cauxine), qui  se chargeait des présentations. Au point que ces trois là ne se quitteront plus, et cristalliseront ensemble pour former les fameux cristaux de struvite (2). En conséquence, la présence de cristaux de struvite dans les urines est normale. Mais il n’empêche que cela demeure le problème urinaire majeur du chat. Néanmoins, ce n’est pas tant leur présence qui pose problème, mais leur concentration excessive. On parle de supersaturation en cristaux de struvite.

De même que l’excès d’acides dans l’estomac est susceptible de provoquer une gastrite, l’excès de cristaux rugueux et abrasifs dans la vessie peut provoquer une cystite. En réaction à cette agression physique, la muqueuse vésicale produit des protéines inflammatoires. Une sorte de mastic qui s’agglomère avec les cristaux et forme des bouchons, susceptibles d’obstruer l’urètre des chats mâles.

La solution alimentaire… l’humide.

Il est donc logique de penser que boire davantage résoudrait ce souci. D’ailleurs chez l’homme (plus souvent la femme en fait), une cystite sur deux se guérit sans traitement médical, à condition de boire beaucoup d’eau. Mais forcer un chat à boire de l’eau est une mission difficile. Et puisque l’eau prise en dehors des heures de repas  semble inefficace pour diluer les urines des chats, que nous reste-il comme solution ? L’alimentation.

L’eau ingérée par notre chat ancestral provient de son alimentation. Sur ce point précis, les croquettes ont tout faux (3). Mais cela n’a pas empêché les fabricants, relayés par les vétérinaires (dont moi-même, à une époque ancienne) de vanter les bénéfices des croquettes « premium ». Royal Canin a même proposé de rembourser les frais vétérinaires engagés pour les chats atteints de calculs, et pouvant justifier qu’ils ne consommaient que leurs croquettes spécialement élaborées. Mais tout cela n’est qu’une matoiserie, autrement dit une tromperie faite aux matous.

Car il n’existe qu’une sorte d’aliment susceptible de prévenir ces souffrances inutiles. C’est une solution adoptée par les chats depuis la nuit des temps, manger humide (3). L’alimentation sous forme de pâtée humide (80 % d’eau en moyenne) apporte davantage d’eau. Avec ce mode d’alimentation, les urines sont moins concentrées en minéraux précurseurs de calculs urinaires. En définitive, il faut s’imaginer que la nourriture humide contribue à nettoyer la vessie de votre chat du « sable » qu’il fabrique naturellement, et qui s’accumule d’autant plus que son régime est sec.

L’alimentation humide s’impose comme une évidence (3). De cette façon, le chat boit des aliments humides. Et cela sans effort. Mais pourquoi l’eau contenue dans les pâtées humides est-elle plus efficace que « l’eau pure », bue dans un bol ou une fontaine à eau ?

L’absorption digestive « efficace » de l’eau.

Pour être absorbée, l’eau contenue dans les aliments doit être modifiée pour avoir une composition assez proche du plasma qui compose le sang. C’est pourquoi « l’eau pure » reste plus longtemps dans l’estomac. Elle doit attendre de se mélanger aux diverses sécrétions (le sodium notamment) et passe par petites quantités dans l’intestin grêle. C’est l’intestin grêle qui est chargé de l’absorption de 90 % de l’eau qu’il reçoit. L’absorption de l’eau est un phénomène passif. Elle se fait en présence d’électrolytes (Na+, Cl-,…) ou d’éléments nutritifs (glucose, acides aminés,…).

L’ingestion d’un repas dilué dans un grand volume d’eau conduit à une absorption rapide de l’eau dans le sang. La teneur en électrolytes (Na+, K+, Cl-,…) détermine l’osmolarité d’un liquide. Celle-ci ne doit être ni trop basse, ce qui est le cas de l’eau pure. Ni trop élevée, comme avec les croquettes, qui contiennent au contraire de forts taux de glucides, mais assez peu d’électrolytes disponibles.

Le chat doit « boire des aliments humides ».

Bon nombre de mes clients sont conscients que leur chat ne boit pas assez d’eau, mais tous ne sont pas disposés à passer au « tout humide ».

Alors pour pallier à cette moindre propension du chat à boire, je conseille au minimum une pâtée de 100 g, divisée en deux repas. Une à trois cuillères à soupe d’eau supplémentaire seront versées sur chaque repas, « comme une sauce ».

Si votre chat est de ceux qui ne lèchent que la sauce autour des bouchées de « viande », n’en prenez pas ombrage. En effet, cette soupe glucidique et électrolytique constitue déjà un excellent soluté de réhydratation orale.

L’inconvénient de cette nouvelle approche est qu’il faudra nettoyer plus souvent le bac de votre chat. La litière qui garantissait un mois de tranquillité devra être remplacée tous les 10 à 15 jours.

Enfin pour les inconditionnels, les inguérissables, les addicts aux croquettes de tout poil, vous trouverez plus loin des suggestions pour encourager votre chat à boire.

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L’art de faire boire un chat. Dessin de Philippe Bernard.

Voilà qui apportera de l’eau à mon moulin pour ce prochain article, qui comme promis est une première réponse pratique à la question « Comment mieux nourrir mon chat ».

Références:

(1) David C. Grant. Effect of water source on intake and urine concentration in healthy cats – Journal of Feline Medicine and surgery (2010).

(2) Matsumoto K1, Funaba M. Factors affecting struvite (MgNH4PO4.6H2O) crystallization in feline urine. Biochim Biophys Acta (2008).

(3) B-M paragon. Aliments humides et hygiène urinaire: retour sur une évidence. Symposium waltham-Mars Petcare (2011)