Controverse en nutrition féline (1)

Vous l’avez constaté, mon blog a hiberné longuement. Vous avez certainement mis à profit cette dormance pour déguster mon excellent livre « Pour en en finir avec les croquettes pour chats ! ». Je reviens aujourd’hui avec une première série d’articles en réaction à une publication sur la nutrition des chats, parue en Septembre 2020 dans l’éminent recueil de référence Veterinary Clinics of North America. La section qui me fait réagir est intitulée « Mythes et idées fausses en rapport avec la nutrition féline » (1).

En 2021, les spécificités nutritionnelles du chat en rapport avec son régime carnivore ne sont plus remises en question par les nutritionnistes de l’industrie du Petfood. Toutefois, ces derniers ont parfois tendance à balayer d’un revers de main arrogant la controverse avec leurs détracteurs, qui ne partagent pas leur « philosophie » de l’alimentation industrielle pour les chats, celle-là même qui tente de concilier trois types de santé: celle des chats,  celle de notre planète, et celle, financière, de ces grands groupes agroalimentaires transnationaux. Pour ce dernier point, les résultats sont excellents.

L’objet de ces articles n’est pas de contester la justesse des propos du Dr LAFLAMME,  nutritionniste vétérinaire et chercheuse ultra-compétente, mais plutôt de pointer le dogmatisme de ses thèses, assénées comme des vérités scientifiques incontestables, ce qui est le propre du discours idéologique. Car ces vérités n’englobent pas toute la réalité. Elles sont réductionnistes, c’est à dire qu’elles ont tendance à réduire des phénomènes complexes à leurs composants les plus simples et à considérer ces derniers comme plus fondamentaux que le but recherché en nutrition préventive à savoir: permettre aux chats de vivre le plus longtemps possible, et sans maladie chronique.

Premier point de controverse: la digestion et l’assimilation des protéines végétales

« Les chats ne peuvent pas digérer ni utiliser les protéines végétales. » C’est le premier mythe remis en cause, et l’on comprend aisément que la problématique est de taille. En effet, pour préserver notre planète du réchauffement climatique et sauvegarder la biodiversité, il convient de trouver des alternatives aux protéines animales. La réponse de l’expert est la suivante: les protéines végétales issues du soja ou des glutens de céréales peuvent être rendues très digestibles par les procédés de cuisson industrielle modernes. Et même si ce sont des protéines dites incomplètes (déficitaires pour un ou plusieurs acides aminés indispensables), elles peuvent constituer une excellente base pour l’apport en protéines alimentaires pour les chats. Il suffira alors tout simplement de complémenter les aliments au cours de leur fabrication avec les acides aminés indispensables manquants comme la taurine ou la méthionine… des acides aminés de synthèse.

Les protéines végétales de médiocre qualité pour les chats

Ce sont les acides aminés soufrés et plus particulièrement la méthionine, qui sont les facteurs limitants des produits végétaux (pour les légumineuses surtout, car les céréales en contiennent davantage). Or, la méthionine est cruciale pour les chats. C’est le point de départ d’une soixantaine de réactions métaboliques, dont la fameuse néoglucogénèse. C’est aussi un précurseur de la cystéine (protéine des poils), de la taurine et de la félinine (phéromone indispensable au marquage urinaire). http://dietetichat.info/pourquoi-votre-chat-ne-sera-jamais-veggy/

On garantit ainsi que les aliments à base de protéines végétales sont complets et équilibré. Mais ça, c’est la théorie. Car en pratique, cette complémentation s’avère fréquemment défectueuse, comme en témoigne des analyses indépendantes auxquelles les fabricants ne sont pas tenus de soumettre leurs produits (2).  De plus, peut-on garantir que cette soupe industrielle ultra-transformée est saine pour nos matous ? En effet, la digestibilité des protéines végétales reste médiocre. Et même si on les soumet à un trempage et une cuisson au préalable, même avec les formes les plus purifiées (isolats), une proportion importante de protéines végétales résistera au processus de digestion. Cela s’explique par le fait que les graines de légumineuses et de céréales sont composées de cellules, encapsulées par une paroi très épaisse et rigide qui rend les protéines inaccessibles aux enzymes de l’estomac (les pepsines). De fait, leur digestion est ralentie comparée à celle des protéines animales.

Le chat a besoin de protéines à digestion rapide

Or, le chat a besoin de protéines à digestion rapide, car son intestin grêle est très court, comme chez tous les carnivores. Finalement, une partie importante de ces protéines, difficilement quantifiable, ne sera pas absorbée et arrivera intacte dans les parties terminales de l’intestin. Au mieux, la digestibilité des protéines végétales sera inférieure de 10 % à celles des protéines animales.

De plus, quid des acides aminées inutiles à l’organisme du chat? Ces acides aminés, en grand nombre dans les protéines végétales, ne pourront ni être utilisés pour la fabrication des protéines structurelles, ni recyclés pour fabriquer du glucose (le substrat énergétique cellulaire) grâce à la néoglucogénèse. Le recours à des protéines végétales est probablement responsable d’un gaspillage énergétique et azoté important. Et cela sera d’autant plus préjudiciable à votre chat que son appétit sera par ailleurs diminué (chat âgé, insuffisant rénal…). A cela s’ajoute aussi le fait que les protéines végétales sont moins appétentes que les protéines animales. Par précaution, il faudra donc éviter les aliments riches en protéines végétales dans les situations où l’appétit de votre chat est compromis.

Deuxième point de controverse: la digestion et l’assimilation des amidons

« Les chats ne peuvent pas digérer ni utiliser les glucides. » C’est le second mythe. Là encore, on comprend bien l’intérêt de la question. Si on peut substituer à une partie du carburant énergétique originel du chat, les protéines (qui sont « transformées » en glucose via la voie métabolique privilégiée des carnivores, la néoglucogénèse) avec un carburant moins cher et qui en plus préserve la planète, c’est tout « bénef » ! L’expert concède les spécificités métaboliques du chat (« aveugle » au goût sucré, équipement enzymatique déficient pour la digestion des glucides…). Toutefois, là encore, le traitement technologique des amidons (cuisson, extrusion) permet de les rendre digestibles à plus de 80 % chez le chat. Au point que l’amidon des croquettes est rendu aussi biodisponible pour le chat que le sucre que vous mettez dans votre café !

Effectivement, la cuisson affecte la matrice des amidons, c’est à dire la structure et l’architecture tridimensionnelle de ces polymères de glucose. Ils se gélatinisent, ce qui favorise l’accès et le traitement par des enzymes digestives (disaccharidases). Lorsque des aliments « sucrés », que ce soit des céréales, des légumineuses ou des fruits, sont ainsi transformés, on rend davantage assimilable (biodisponible) le glucose qui les composent. Cela a été largement démontré par des études in vitro.

Oui, mais les chats n’ont pas besoin d’autant de sucres

Cette optimisation de l’assimilation du glucose par l’organisme des chats doit cependant être contrôlée. C’est pourquoi on incorpore surtout des glucides dits « complexes » dans les croquettes « premium ». Leur index glycémique (une notion non avérée en médecine vétérinaire) serait ainsi réduit. Et le glucose dont la libération a été favorisée par la cuisson, passera dans le sang de façon plus graduelle… Magie ! Ceci n’est absolument pas démontré chez le chat. Soit le glucose reste enfermé dans des structures moléculaires complexes (réseaux de fibres glucidiques ramifiées, cellulose, hémicellulose, pectines), alors il n’est pas digéré par le chat et il ira nourrir la flore bactérienne (bénéfique ?) du gros intestin. Soit il est rendu assimilable de façon quasi-complète et rapide au niveau de l’intestin grêle. Or, les chats n’ont pas besoin d’autant de sucres. Alors dans ce cas, peut-on alors parler de bénéfice pour la santé des chats ?

Ces nouveaux ingrédients à la mode

L’ultra-transformation des aliments autorise l’incorporation d’ingrédients que le chat ne mangerait jamais naturellement, sans parler des additifs.

Quelles sont donc les nouveaux ingrédients à la mode, qui doivent vous interpeler ? En premier lieu, la star… le soja. C’est la principale source de protéines végétales dans l’alimentation animale. Pourtant, le soja contient de nombreux facteurs anti-nutritionnels, dont un non négligeable, la lectine… du gluten à la puissance dix ! Les plantes fabriquent les lectines pour se protéger des prédateurs, omnivores ou herbivores. Le chat, qui lui ne mange pas de végétaux à l’état naturel n’était pas visé, mais de fait il n’est pas épargné. Ainsi, trop de lectines peuvent favoriser la libération d’histamine, une réaction inflammatoire toxique qui perturbe la barrière intestinale en la rendant plus perméable.

D’autres légumineuses ont le vent en poupe, comme les pois ou des lentilles. Leur teneur élevée en protéines et leur amidons à faible index glycémique sont plébiscités chez l’homme. Toutefois, la cuisson-extrusion des légumineuses est moins efficace pour améliorer la digestibilité des glucides qu’ils renferment. Ils sont bien moins bien digérés (et digestes) que l’amidon contenu dans les céréales. C’est d’ailleurs ce qui les rend intéressant dans l’alimentation des humains qui ont un diabète de type 2.  Enfin, comme le soja, ces autres légumineuses récèlent des facteurs anti-nutritionnels, les saponines, les facteurs anti-trypsiques, l’acide phytique, la vicine-convicine…

Finalement, sans une cuisson forte qui détruit une grande partie de ces toxiques potentiels, les légumineuses (dont le soja) ne seraient pas consommables par un chat.

Méfiance chez les chats dits « sensibles »

Il est d’usage, à tort, de transposer les données de l’alimentation humaine à la nutrition des carnivores. A mon tour, permettez-moi d’utiliser ce biais pour étendre le débat à la santé des chats. Ainsi, il est à signaler que les légumineuses comme les pois ou les lentilles, sont peu consommés par les personnes souffrant de troubles fonctionnels du côlon (colopathie fonctionnelle). Or, s’il est une pathologie émergente chez les chats « modernes », c’est bien les M.I.C.I. L’acronyme M.I.C.I. signifie communément Maladie Inflammatoire Chronique de l’intestin, mais l’adjectif « chronique » est désormais remplacé par « cryptogénique »… de cause inconnue ! Bien entendu, un lien de causalité entre ces aliments et l’incidence croissante de cette affection chez le chat ne peut être établi. Mais on peut s’interroger sur la pertinence d’incorporer de tels ingrédients pour ces chats dits « sensibles ».

Dans le syndrome de l’intestin irritable de l’homme, on conseille de limiter les végétaux. Le blé, l’orge, la betterave, les légumineuses, les fruits, sont regardés avec méfiance.  Les composant en cause dans les troubles digestifs ressentis par les sujets humains sont les FODMAP (traduction française: « oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentescibles par la flore intestinale »). Ce sont des dérivés glucidiques de petite taille, très peu absorbés dans l’intestin grêle, mais fermentescibles dans le gros intestin, et sans bénéfice pour la flore intestinale.

Ultra-transformé ne rime pas avec santé?

L’assimilation des amidons et des protéines végétales n’est donc possible qu’après des traitements technologiques agressifs. Malheureusement, ceux-ci ont pour effet de déstructurer totalement la matrice des aliments. Et au lieu de se compléter avantageusement (effet synergique), les nutriments qui les composent perdent une grande partie de leur potentiel « santé » dans le magma moléculaire obtenu.

On sait notamment que les traitements thermiques (cuisson-extrusion) des graines neutralisent leur potentiel antioxydant tant vanté chez l’homme pour les fruits et légumes.

De plus, il semble qu’ils augmentent le potentiel alcalinisant des aliments. C’est un souci non négligeable pour les chats, que l’on expose davantage à la fameuse « vague alcaline ». Cette alcalinisation métabolique est amplifiée quand un chat ne fait qu’un ou deux gros repas par jour. Cela est propice à la formation des calculs urinaires de struvite. D’où l’usage généralisé de complémenter les aliments industriels avec des acidifiants chimiques. En fait, ce phénomème est principalement rencontré avec les régimes alimentaires riches en glucides, comme les croquettes. On n’observe pas cela avec les pâtées ou les rations ménagères.

Il a aussi été démontré chez l’homme que les traitement thermiques forts (type extrusion comme pour les croquettes) diminuent d’environ 20 % le potentiel lipotropique des produits alimentaires d’origine végétale (limitation de l’accumulation de graisses dans le foie). Or les croquettes « premier prix », riches en glucides et carencés en protéines de qualité, sont souvent impliquées (d’après mes observations personnelles) dans la survenue de la lipidose hépatique qui affecte les chats.

Enfin, l’impact négatif de ces glucides ultra-transformés sur la satiété est clairement démontré chez l’homme. Cela constitue un facteur de risque majeur d’obésité.

Pour conclure…

De ces deux premiers points de controverse, il faut surtout retenir que l’argumentation de l’auteure se cantonne à l’étage digestif. Or le chat n’est pas un simple tube digestif. L’article n’aborde aucunement le devenir de ces amidons et de ces protéines végétales dans l’organisme. Atteignent-ils  leur « cible organique » afin de réaliser leur potentiel santé attendu ? Sont-ils absorbés à la bonne vitesse ?  Prennent-ils la bonne voie métabolique ou sont-ils détournés, avant d’être éliminés ? Ensuite, tous ces nutriments végétaux ultra-transformés ne comportent-ils pas une part de toxicité ? Comme tout xénobiotique, au même titre que les médicaments ou les pesticides, il génèrent des déchets métaboliques qu’il importe de mieux connaître. Ainsi, on a pu observer récemment une recrudescence des cas de cardiomyopathie dilatée chez le chien, en rapport avec la consommation d’aliments riches en légumineuses (3).

La question principale est donc : « Ces nutriments non naturels ne favorisent-ils pas la survenue des affections chroniques qui touchent de plus en plus nos chats depuis quelques décennies ? » Par manque de preuves, ces questions continueront d’être contestées. Mais avec les prochains articles, nous irons encore plus loin pour « alimenter » ces sujets de controverse.

Références

  1. Dottie P. Laflamme – Understanding the Nutritional Needs of Healthy Cats and Those with Diet-Sensitive Conditions – Vet Clin Small Anim 50 (2020)
  2. Kanakubo and al. Assessment of protein and amino acid concentration and labeling adequacy of commercial vegetarian diets formulated for dogs and cats. JAVMA 2015.
  3. Sydney R Mc Cauley et al – Review of canine dilated cardiomyopathy in the wake of diet-associated concerns – Journal of Animal Science (2020).