Controverse en nutrition féline: les glucides (2)

Parmi les idées fausses les plus communes, il y a la croyance selon laquelle l’excès de glucides dans les aliments industriels est responsable de l’obésité des chats (Dr D Laflamme) 1-2 .

Vrai ou faux, c’est en tout cas un point de controverse crucial, qui plaiderait contre le modèle « tout croquettes » pour l’alimentation des chats. Dans cet article, je tente de répondre le plus objectivement possible à cette question. Là où les experts assènent des certitudes, je tente de démontrer qu’il est légitime de douter de leurs arguments scientifiques.

Le régime carnivore strict du chat serait flexible…

Les proies des chats sauvages se composent majoritairement de protéines. Elles représentent 52 à 63 % des calories journalières ingérées, pour seulement 3 % de glucides. Le chat domestique peut très bien vivre avec un régime zéro glucide (proche de son régime ancestral), car le glucose n’est pas pour lui un nutriment essentiel. Il le fabrique à partir des protéines et des graisses alimentaires (néoglucogenèse).

A l’inverse, le chat pourrait aussi s’accommoder de croquettes « premier prix » composées de 60 % de glucides, et ceci sans risque pour sa santé. Pour cela, les apports protéiques doivent se situer au dessus du minimum vital, défini par la NRC, à savoir 1,5 g de protéines par kg de poids pour un chat adulte3. Dans ces conditions, le métabolisme s’adapte à des niveaux restreints de protéines, en brûlant moins de protéines pour la fabrication du glucose.

En fait, l’étude qui établit cela démontre uniquement que pendant la durée limitée de l’expérimentation (5 jours), les chats soumis à un déficit temporaire en protéines (comme cela peut se produire dans la nature), et à condition que tous les acides aminés indispensables soient présents en quantité largement suffisante, n’ont présenté aucune modification de leur état de santé. Et tant mieux, car cette flexibilité métabolique constitue un mécanisme de secours destiné à pallier aux aléas alimentaires. Mais, aucune étude à long terme ne démontre l’absence d’impact négatif de régimes aussi pauvres en protéines.

Le chat préfèrerait même les glucides…

Les vrais besoins en protéines des chatLa principale faiblesse de l’édifice théorique de l’alimentation du chat réside dans la détermination précise de ses besoins en protéines (http://dietetichat.info/normes-nutritionnelles-chat/). En effet, il désormais admis (par l’auteure aussi) que l’estimation du minimum protéique de 1,5 g / kg de poids (la norme NRC) est erronée. Le besoin protéique est au moins 3 fois supérieur, soit 5 à 7 g de protéines / kg de poids, ou encore 35-50 % des apports caloriques journaliers. Ce niveau d’apport permet le renouvellement régulier des protéines constitutives des tissus organiques (turn-over), la production d’anticorps (dérivés protidiques) et le maintien de la masse musculaire. Enfin, le fait de disposer d’un pool suffisant d’acides aminés libres permet une adaptation métabolique rapide pour faire face à des changements nutritionnels ou physiopathologiques (maladie, vieillissement). Et l’espérance de vie en bonne santé n’en sera que plus longue pour ces chats.

A l’état naturel, le chat est capable d’équilibrer instinctivement et précisément son régime, lorsque les ressources alimentaires sont suffisantes. Ainsi, le chat disposerait d’un « compteur à protéines » qui l’amène à consommer une quantité cible de protéines qui correspond à 50 % de ses calories journalières, 52% pour être précis4. Autrement dit, lorsqu’il dispose d’un buffet à volonté, le chat tentera d’assouvir en priorité son besoin protéique avant son besoin calorique. Cette cible protéique est une des plus élevée du monde animal. Elle n’est que de 25 à 35 % pour les chiens et seulement 15 % pour l’homme. Ceci est le fruit du travail de deux chercheurs australiens, qui ont prouvé que tous les animaux, de la sauterelle au kangourou, s’arrêtent de manger quand leur besoin en protéines est satisfait5.

Mais à l’inverse, qu’observe-t-on quand la nature est moins généreuse, et que l’environnement alimentaire propose trop peu de protéines ? Et bien l’animal continue de manger toujours davantage pour se rapprocher sa cible protéique, quitte à devenir obèse. Cette règle est générale dans les conditions naturelles. Et lorsque l’environnement alimentaire d’une espèce animale change de manière définitive, de façon trop brusque ou trop extrême, cela expose à une extinction de l’espèce dans certains cas, à des crises sanitaires dans les cas les plus favorables (maladies chroniques, morts prématurées…). C’est ce que nous constatons avec l’épidémie de chats obèses nourris avec les croquettes. Les croquettes pour chats sont composées en moyenne de 36 % de protéines, soit moins de 32 % des calories d’origine protéique 2. C’est très loin de leur cible protéique de 50 %. Et finalement, le principal facteur de risque d’obésité des chats serait la carence relative en protéines, et pas l’excès de glucides.

Comment expliquer que les chats apprécient, voire préfèrent, cette alimentation artificielle riche en glucides à laquelle leur organisme est mal adapté ? C’est un fait, comme le prouve cette expérience menée par le fabricant Hill’s. Une vingtaine de chats se sont vus proposer quatre formulations différentes de croquettes qui contenaient entre 35 et 52 % de glucides. Résultat: les chats n’ont pas unanimement préféré la formulation la plus protéique, mais parfois même la plus glucidique ! Cette étude ne remet pas en cause la préférence des chats pour les protéines, mais fait seulement la démonstration qu’il est possible de duper l’instinct d’un l’animal lorsqu’on lui offre un aliment ultra-transformé. Je vous rappelle qu’il est admis que les chats sont « aveugles » pour le goût sucré. Une des explications est que lorsque la densité calorique d’un aliment est très éloignée de celle de l’alimentation naturelle, les mécanismes de régulation de l’appétit sont inefficaces (400 kcal / 100 g de croquettes versus 125 kcal / 100 g de souris). Personnellement, si on me donnait le choix entre des chips de pommes de terre et des chips protéinées ( à base de soja), il est probable que ma préférence ira vers les premières, pourtant moins « saines ».

Les spécificités métaboliques des chats pour les glucides

Les aliments industriels permettent donc de faire avaler aux chats des quantités importantes de glucides, que les divers traitements technologiques ont rendus parfaitement assimilables (hyperdigestibles) au niveau intestinal (http://dietetichat.info/mythes-controverses-nutrition-feline-1/). Mais au-delà de la barrière digestive se trouve une boite noire qui n’a pas livré tous ses secrets, à savoir le devenir digestif des glucides et leur effet santé chez le chat. Et pourtant, c’est là que se trouve la clé du problème.

Dans le paragraphe « What is the impact of dietary carbohydrates on blood glucose in cats  » de l’article du Dr Laflamme 2, elle fait état des données scientifiques discordantes sur le sujet, du fait de modalités expérimentales complexes et peu reproductibles. Mais plutôt que d’essayer de clarifier les choses, elle donne l’impression de disqualifier préventivement la théorie rivale avec des arguments douteux. Autrement dit, elle nous enfume ! De façon dogmatique, elle justifie que les régimes riches en glucides n’ont pas d’impact négatif pour le chat, car ils ne génèrent pas d’hyperglycémie grave. Pas d’hyperglycémie, donc pas d’effet néfaste sur les cellules du pancréas, et pas de diabète. Et encore moins de lien avec l’obésité. C’est un un peu léger !

Les études les plus récentes utilisent des capteurs cutanés pour mesurer la glycémie des chats, ce qui a l’avantage de limiter le nombre de prises de sang, et les résultats erronés liés au stress (phénomène bien connu chez le chat). Une d’entre elles a permis de préciser ce qui se passe pour des chats en bonne santé et présentant un indice corporel normal 6. Cette étude apporte plusieurs éclairages sur le métabolisme des glucides chez le chat. En premier lieu, il est vrai que le chat utilise davantage de glucose lorsqu’il y a davantage de glucides dans sa ration. Ensuite, en présence de taux de glucides moyens (jusqu’à 36 % de la MS dans cette étude), l’élévation de la glycémie reste minime (0,15 g / L maximum). Par contre, celle-ci peut persister jusqu’à 24 heures (moins de 3 heures pour l’homme ou le chien). Il en est de même pour l’insulinémie.

Cette étude égratigne au passage certaines croyances nutritionnelles, aux conséquences intéressantes pour la gestion alimentaires des chats obèses ou diabétiques. Ainsi, la réponse glycémique selon l’origine des amidons (céréales, légumineuses, patates…) n’est pas modifiée. Alors que chez l’homme, on a tenté de classer ces amidons par leur index glycémique (riz > maïs > orge), on n’observe pas cela chez le chat. Et la présumée supériorité des glucides dits complexes pour le chat (légumineuses, céréales complètes…) est donc sans fondement. C’est pareil pour les fibres alimentaires qui semblent n’avoir aucune influence sur la réponse glycémique. Finalement, les variations de glycémie ont été moindres avec les croquettes modérées en glucides (moins de 30 %) et riches en matières grasses (plus de 20 %).

Aucun glucide ne se perd…

Suivons plus en détail le périple des molécules de glucose fraîchement déversées dans le torrent sanguin. Chez la plupart des mammifères monogastriques, les options sont les mêmes. D’abord, une partie du glucose file directement au cerveau qui est prioritaire. La seconde priorité est de produire de l’énergie directement utilisable. Le glucose subit alors une combustion complète qui libère des molécules énergétiques, c’est la glycolyse. Et s’il reste encore beaucoup de glucose, l’excédent est stocké sous forme de glycogène, c’est la glycogénogenèse.

Chez le chat, la glycolyse est peu performante et les réserves de glycogène sont très limitées. Ainsi, en toute logique, le glucose devrait s’accumuler dans le sang, provoquant une hyperglycémie. Or la glycémie des chats augmente faiblement dans les heures qui suivent un repas (0,15 g de glucose / l). La question est donc: où va tout ce glucose non utilisé ? Et bien, il est tout bonnement converti en acides gras (lipogenèse).

Le sucre qui se transforme en graisses, c’est bien connu ! Chez l’homme, ce mécanisme est normalement responsable de 3% du stock de graisses, le reste provenant directement des acides gras alimentaires. C’est beaucoup plus lorsque son régime est riche en sucre et en fructose. Chez les carnivores, il est probable que cet itinéraire de délestage du glucose soit très vite activé après un repas riche en glucides.

Les glucides: responsables mais pas seuls coupables

Reprenons le cas de notre chat d’intérieur, peu actif, et subissant toute la journée la tentation de son bol de croquettes généreusement rempli. Laborieusement, il tente d’atteindre son quota de protéines journalier. En contrepartie, il satisfait très rapidement son besoin calorique (parfois même en un seul repas). Le glucose s’accumule dans le sang. En réponse, l’insuline amplifie les voies d’utilisation du glucose, que sont la glycolyse et glycogénogénèse. Ces voies métaboliques saturent… et la lipogenèse prend le relais.

Sans limitation des calories qu’il ingère (glucides, protéines ou lipides), notre chat n’a jamais l’occasion de mobiliser ses graisses de réserve. Sa masse graisseuse augmente. Or, chaque kg de poids additionnel réduit l’efficacité de l’insuline de 30 % en moyenne chez le chat. On parle d’insulinorésistance. En réponse, le pancréas accroît son travail pour produire davantage d’insuline (hyperinsulinisme). Le processus de lipogénèse a tendance à s’emballer sous l’effet de l’insuline: plus d’obésité, plus d’insulinorésitance, plus d’insuline produite, plus d’obésité… et diabète, parfois !

En pratique:

– Tant que votre chat est mince et qu’il ne consomme pas davantage que ses besoins caloriques, il peut supporter des taux de glucides allant jusque 40 % des calories ingérées, sans que sa glycémie ne s’en ressente. Toutefois, il est possible qu’une fraction de ces glucides se transforme déjà en graisse au détriment de sa masse maigre. De plus, une insuffisance chronique en protéines risque d’entraver le bon renouvellement de ses protéines organiques, et sa santé à long terme.

– Si votre chat n’est pas en mesure de satisfaire son besoin protéique de 50 % des calories d’origine protéiques, et si par ailleurs il a la possibilité de manger à sa faim, il consommera plus de calories que nécessaire pour lui. C’est le cas lorsque vous laissez les croquettes en libre-service, même si votre chat semble en manger très peu. La densité énergétique élevée des croquettes ne permet pas de contrôler la satiété des chats, ce qui en fait l’aliment le plus responsable de la surconsommation calorique. Dix grammes de croquettes en trop chaque jour se soldent par 400 grammes de poids pris sur une année.

– Une fois en surpoids, la régulation de la glycémie de votre chat devient de plus en plus compliquée. Les afflux de glucides seront moins facilement gérés que lorsqu’il était mince et en bonne santé. A mesure que son obésité s’aggrave, il risque de devenir intolérant au glucose. Et si son régime alimentaire comporte durablement trop de glucides (plus de 20 % selon moi), la fabrication de graisse est favorisée.

Pour faire machine arrière et faire maigrir votre chat, une restriction calorique même sévère ne suffira pas, contrairement aux dires des diététiciens « mécanistes ». La stratégie qui consiste à diminuer le niveau des croquettes, tout en les remplaçant par des croquettes hypocaloriques (pauvres en matières grasses) est vouée à l’échec. Nombreux sont les propriétaires de chats qui l’ont observé. Pour parvenir à faire maigrir durablement votre chat, il faudra d’abord diminuer de façon drastique la quantité de glucides ingérée chaque jour. Comment ? En optant d’abord pour une alimentation mixte, avec moins de croquettes et plus de pâtées (riches en protéines). Ainsi, on peut espérer abaisser le taux de glucides journalier global sous les 20 %. Par contre, en cas d’obésité sévère, il faudra viser 10 % et de fait… oublier les croquettes.

Pour conclure:

Selon moi, la prévention de l’obésité du chat passe obligatoirement par un contrôle du taux de glucides. Les glucides journaliers ingérés ne devraient pas représenter plus de 20% des calories totales, aussi bien pour prévenir l’obésité que pour la guérir. Cela oblige à recourir en tout ou partie à des aliments humides. Les croquettes doivent être limitées en quantité car elles favorisent la surconsommation calorique de façon générale, et glucidique en particulier. C’est le conseil que je préconise pour mes patients depuis plus de 15 ans d’exercice vétérinaire réservé aux chats. Pourtant, certains chats me font parfois mentir et parviennent parfaitement à réguler leur poids malgré un régime tout croquettes en libre service, mais ils sont une minorité.

L’impact des glucides dans l’obésité des chats continuera de faire débat pendant longtemps, faute de preuves inébranlables. C’est la même chose que l’implication du cholestérol dans les maladies cardiovasculaires chez l’homme, alors que c’est le sucre le responsable. Dans cette histoire, les intérêts économiques en jeux sont déterminants pour l’industrie du Petfood. Car leur appétit pour l’argent est inconciliable avec l’appétit des chats pour les protéines. La mis au point du Dr Laflamme est toutefois remarquable. Seul bémol, elle a travaillé plus de 25 ans chez Purina !

  • 1. D. LAFLAMME et al. Evidence does not support the controversy regarding carbohydrates in feline diets – JAVMA (2022)
  • 2. D. LAFLAMME– Understanding the nutritionnal needs of healthy cats and those with Diet-Sensitive Conditions – Veterinary Clinics (2020)
  • 3. A.S. GREEN et al. Cats are able to Adapt protein oxidation to protein intake provided their requirement for dietary protein Is met. J Nutr (2008)
  • 4. A.K. HEWSON-HUGUES and al – Geometric analysis of macronutrient selection in the adult domestic cat, Felis catus – The Journal of Experimental Biology (2011)
  • 5. D. RAUBENHEIMER, S.J. SIMPSON – Pourquoi les animaux ne font pas de régime (Ed. Les arènes, 2021)
  • 6. ASARO et al – Carbohydrate level and source have minimal effects on feline energy and macronutrient metabolism – J Anim Sci (2018)