Controverse en nutrition féline: les glucides (2)

Parmi les idées fausses les plus communes, il y a la croyance selon laquelle l’excès de glucides dans les aliments industriels est responsable de l’obésité des chats (Dr D Laflamme) 1-2 .

Vrai ou faux, c’est en tout cas un point de controverse crucial, qui plaiderait contre le modèle « tout croquettes » pour l’alimentation des chats. Dans cet article, je tente de répondre le plus objectivement possible à cette question. Là où les experts assènent des certitudes, je tente de démontrer qu’il est légitime de douter de leurs arguments scientifiques.

Le régime carnivore strict du chat serait flexible…

Les proies des chats sauvages se composent majoritairement de protéines. Elles représentent 52 à 63 % des calories journalières ingérées, pour seulement 3 % de glucides. Le chat domestique peut très bien vivre avec un régime zéro glucide (proche de son régime ancestral), car le glucose n’est pas pour lui un nutriment essentiel. Il le fabrique à partir des protéines et des graisses alimentaires (néoglucogenèse).

A l’inverse, le chat pourrait aussi s’accommoder de croquettes « premier prix » composées de 60 % de glucides, et ceci sans risque pour sa santé. Pour cela, les apports protéiques doivent se situer au dessus du minimum vital, défini par la NRC, à savoir 1,5 g de protéines par kg de poids pour un chat adulte3. Dans ces conditions, le métabolisme s’adapte à des niveaux restreints de protéines, en brûlant moins de protéines pour la fabrication du glucose.

En fait, l’étude qui établit cela démontre uniquement que pendant la durée limitée de l’expérimentation (5 jours), les chats soumis à un déficit temporaire en protéines (comme cela peut se produire dans la nature), et à condition que tous les acides aminés indispensables soient présents en quantité largement suffisante, n’ont présenté aucune modification de leur état de santé. Et tant mieux, car cette flexibilité métabolique constitue un mécanisme de secours destiné à pallier aux aléas alimentaires. Mais, aucune étude à long terme ne démontre l’absence d’impact négatif de régimes aussi pauvres en protéines.

Le chat préfèrerait même les glucides…

Les vrais besoins en protéines des chatLa principale faiblesse de l’édifice théorique de l’alimentation du chat réside dans la détermination précise de ses besoins en protéines (http://dietetichat.info/normes-nutritionnelles-chat/). En effet, il désormais admis (par l’auteure aussi) que l’estimation du minimum protéique de 1,5 g / kg de poids (la norme NRC) est erronée. Le besoin protéique est au moins 3 fois supérieur, soit 5 à 7 g de protéines / kg de poids, ou encore 35-50 % des apports caloriques journaliers. Ce niveau d’apport permet le renouvellement régulier des protéines constitutives des tissus organiques (turn-over), la production d’anticorps (dérivés protidiques) et le maintien de la masse musculaire. Enfin, le fait de disposer d’un pool suffisant d’acides aminés libres permet une adaptation métabolique rapide pour faire face à des changements nutritionnels ou physiopathologiques (maladie, vieillissement). Et l’espérance de vie en bonne santé n’en sera que plus longue pour ces chats.

A l’état naturel, le chat est capable d’équilibrer instinctivement et précisément son régime, lorsque les ressources alimentaires sont suffisantes. Ainsi, le chat disposerait d’un « compteur à protéines » qui l’amène à consommer une quantité cible de protéines qui correspond à 50 % de ses calories journalières, 52% pour être précis4. Autrement dit, lorsqu’il dispose d’un buffet à volonté, le chat tentera d’assouvir en priorité son besoin protéique avant son besoin calorique. Cette cible protéique est une des plus élevée du monde animal. Elle n’est que de 25 à 35 % pour les chiens et seulement 15 % pour l’homme. Ceci est le fruit du travail de deux chercheurs australiens, qui ont prouvé que tous les animaux, de la sauterelle au kangourou, s’arrêtent de manger quand leur besoin en protéines est satisfait5.

Mais à l’inverse, qu’observe-t-on quand la nature est moins généreuse, et que l’environnement alimentaire propose trop peu de protéines ? Et bien l’animal continue de manger toujours davantage pour se rapprocher sa cible protéique, quitte à devenir obèse. Cette règle est générale dans les conditions naturelles. Et lorsque l’environnement alimentaire d’une espèce animale change de manière définitive, de façon trop brusque ou trop extrême, cela expose à une extinction de l’espèce dans certains cas, à des crises sanitaires dans les cas les plus favorables (maladies chroniques, morts prématurées…). C’est ce que nous constatons avec l’épidémie de chats obèses nourris avec les croquettes. Les croquettes pour chats sont composées en moyenne de 36 % de protéines, soit moins de 32 % des calories d’origine protéique 2. C’est très loin de leur cible protéique de 50 %. Et finalement, le principal facteur de risque d’obésité des chats serait la carence relative en protéines, et pas l’excès de glucides.

Comment expliquer que les chats apprécient, voire préfèrent, cette alimentation artificielle riche en glucides à laquelle leur organisme est mal adapté ? C’est un fait, comme le prouve cette expérience menée par le fabricant Hill’s. Une vingtaine de chats se sont vus proposer quatre formulations différentes de croquettes qui contenaient entre 35 et 52 % de glucides. Résultat: les chats n’ont pas unanimement préféré la formulation la plus protéique, mais parfois même la plus glucidique ! Cette étude ne remet pas en cause la préférence des chats pour les protéines, mais fait seulement la démonstration qu’il est possible de duper l’instinct d’un l’animal lorsqu’on lui offre un aliment ultra-transformé. Je vous rappelle qu’il est admis que les chats sont « aveugles » pour le goût sucré. Une des explications est que lorsque la densité calorique d’un aliment est très éloignée de celle de l’alimentation naturelle, les mécanismes de régulation de l’appétit sont inefficaces (400 kcal / 100 g de croquettes versus 125 kcal / 100 g de souris). Personnellement, si on me donnait le choix entre des chips de pommes de terre et des chips protéinées ( à base de soja), il est probable que ma préférence ira vers les premières, pourtant moins « saines ».

Les spécificités métaboliques des chats pour les glucides

Les aliments industriels permettent donc de faire avaler aux chats des quantités importantes de glucides, que les divers traitements technologiques ont rendus parfaitement assimilables (hyperdigestibles) au niveau intestinal (http://dietetichat.info/mythes-controverses-nutrition-feline-1/). Mais au-delà de la barrière digestive se trouve une boite noire qui n’a pas livré tous ses secrets, à savoir le devenir digestif des glucides et leur effet santé chez le chat. Et pourtant, c’est là que se trouve la clé du problème.

Dans le paragraphe « What is the impact of dietary carbohydrates on blood glucose in cats  » de l’article du Dr Laflamme 2, elle fait état des données scientifiques discordantes sur le sujet, du fait de modalités expérimentales complexes et peu reproductibles. Mais plutôt que d’essayer de clarifier les choses, elle donne l’impression de disqualifier préventivement la théorie rivale avec des arguments douteux. Autrement dit, elle nous enfume ! De façon dogmatique, elle justifie que les régimes riches en glucides n’ont pas d’impact négatif pour le chat, car ils ne génèrent pas d’hyperglycémie grave. Pas d’hyperglycémie, donc pas d’effet néfaste sur les cellules du pancréas, et pas de diabète. Et encore moins de lien avec l’obésité. C’est un un peu léger !

Les études les plus récentes utilisent des capteurs cutanés pour mesurer la glycémie des chats, ce qui a l’avantage de limiter le nombre de prises de sang, et les résultats erronés liés au stress (phénomène bien connu chez le chat). Une d’entre elles a permis de préciser ce qui se passe pour des chats en bonne santé et présentant un indice corporel normal 6. Cette étude apporte plusieurs éclairages sur le métabolisme des glucides chez le chat. En premier lieu, il est vrai que le chat utilise davantage de glucose lorsqu’il y a davantage de glucides dans sa ration. Ensuite, en présence de taux de glucides moyens (jusqu’à 36 % de la MS dans cette étude), l’élévation de la glycémie reste minime (0,15 g / L maximum). Par contre, celle-ci peut persister jusqu’à 24 heures (moins de 3 heures pour l’homme ou le chien). Il en est de même pour l’insulinémie.

Cette étude égratigne au passage certaines croyances nutritionnelles, aux conséquences intéressantes pour la gestion alimentaires des chats obèses ou diabétiques. Ainsi, la réponse glycémique selon l’origine des amidons (céréales, légumineuses, patates…) n’est pas modifiée. Alors que chez l’homme, on a tenté de classer ces amidons par leur index glycémique (riz > maïs > orge), on n’observe pas cela chez le chat. Et la présumée supériorité des glucides dits complexes pour le chat (légumineuses, céréales complètes…) est donc sans fondement. C’est pareil pour les fibres alimentaires qui semblent n’avoir aucune influence sur la réponse glycémique. Finalement, les variations de glycémie ont été moindres avec les croquettes modérées en glucides (moins de 30 %) et riches en matières grasses (plus de 20 %).

Aucun glucide ne se perd…

Suivons plus en détail le périple des molécules de glucose fraîchement déversées dans le torrent sanguin. Chez la plupart des mammifères monogastriques, les options sont les mêmes. D’abord, une partie du glucose file directement au cerveau qui est prioritaire. La seconde priorité est de produire de l’énergie directement utilisable. Le glucose subit alors une combustion complète qui libère des molécules énergétiques, c’est la glycolyse. Et s’il reste encore beaucoup de glucose, l’excédent est stocké sous forme de glycogène, c’est la glycogénogenèse.

Chez le chat, la glycolyse est peu performante et les réserves de glycogène sont très limitées. Ainsi, en toute logique, le glucose devrait s’accumuler dans le sang, provoquant une hyperglycémie. Or la glycémie des chats augmente faiblement dans les heures qui suivent un repas (0,15 g de glucose / l). La question est donc: où va tout ce glucose non utilisé ? Et bien, il est tout bonnement converti en acides gras (lipogenèse).

Le sucre qui se transforme en graisses, c’est bien connu ! Chez l’homme, ce mécanisme est normalement responsable de 3% du stock de graisses, le reste provenant directement des acides gras alimentaires. C’est beaucoup plus lorsque son régime est riche en sucre et en fructose. Chez les carnivores, il est probable que cet itinéraire de délestage du glucose soit très vite activé après un repas riche en glucides.

Les glucides: responsables mais pas seuls coupables

Reprenons le cas de notre chat d’intérieur, peu actif, et subissant toute la journée la tentation de son bol de croquettes généreusement rempli. Laborieusement, il tente d’atteindre son quota de protéines journalier. En contrepartie, il satisfait très rapidement son besoin calorique (parfois même en un seul repas). Le glucose s’accumule dans le sang. En réponse, l’insuline amplifie les voies d’utilisation du glucose, que sont la glycolyse et glycogénogénèse. Ces voies métaboliques saturent… et la lipogenèse prend le relais.

Sans limitation des calories qu’il ingère (glucides, protéines ou lipides), notre chat n’a jamais l’occasion de mobiliser ses graisses de réserve. Sa masse graisseuse augmente. Or, chaque kg de poids additionnel réduit l’efficacité de l’insuline de 30 % en moyenne chez le chat. On parle d’insulinorésistance. En réponse, le pancréas accroît son travail pour produire davantage d’insuline (hyperinsulinisme). Le processus de lipogénèse a tendance à s’emballer sous l’effet de l’insuline: plus d’obésité, plus d’insulinorésitance, plus d’insuline produite, plus d’obésité… et diabète, parfois !

En pratique:

– Tant que votre chat est mince et qu’il ne consomme pas davantage que ses besoins caloriques, il peut supporter des taux de glucides allant jusque 40 % des calories ingérées, sans que sa glycémie ne s’en ressente. Toutefois, il est possible qu’une fraction de ces glucides se transforme déjà en graisse au détriment de sa masse maigre. De plus, une insuffisance chronique en protéines risque d’entraver le bon renouvellement de ses protéines organiques, et sa santé à long terme.

– Si votre chat n’est pas en mesure de satisfaire son besoin protéique de 50 % des calories d’origine protéiques, et si par ailleurs il a la possibilité de manger à sa faim, il consommera plus de calories que nécessaire pour lui. C’est le cas lorsque vous laissez les croquettes en libre-service, même si votre chat semble en manger très peu. La densité énergétique élevée des croquettes ne permet pas de contrôler la satiété des chats, ce qui en fait l’aliment le plus responsable de la surconsommation calorique. Dix grammes de croquettes en trop chaque jour se soldent par 400 grammes de poids pris sur une année.

– Une fois en surpoids, la régulation de la glycémie de votre chat devient de plus en plus compliquée. Les afflux de glucides seront moins facilement gérés que lorsqu’il était mince et en bonne santé. A mesure que son obésité s’aggrave, il risque de devenir intolérant au glucose. Et si son régime alimentaire comporte durablement trop de glucides (plus de 20 % selon moi), la fabrication de graisse est favorisée.

Pour faire machine arrière et faire maigrir votre chat, une restriction calorique même sévère ne suffira pas, contrairement aux dires des diététiciens « mécanistes ». La stratégie qui consiste à diminuer le niveau des croquettes, tout en les remplaçant par des croquettes hypocaloriques (pauvres en matières grasses) est vouée à l’échec. Nombreux sont les propriétaires de chats qui l’ont observé. Pour parvenir à faire maigrir durablement votre chat, il faudra d’abord diminuer de façon drastique la quantité de glucides ingérée chaque jour. Comment ? En optant d’abord pour une alimentation mixte, avec moins de croquettes et plus de pâtées (riches en protéines). Ainsi, on peut espérer abaisser le taux de glucides journalier global sous les 20 %. Par contre, en cas d’obésité sévère, il faudra viser 10 % et de fait… oublier les croquettes.

Pour conclure:

Selon moi, la prévention de l’obésité du chat passe obligatoirement par un contrôle du taux de glucides. Les glucides journaliers ingérés ne devraient pas représenter plus de 20% des calories totales, aussi bien pour prévenir l’obésité que pour la guérir. Cela oblige à recourir en tout ou partie à des aliments humides. Les croquettes doivent être limitées en quantité car elles favorisent la surconsommation calorique de façon générale, et glucidique en particulier. C’est le conseil que je préconise pour mes patients depuis plus de 15 ans d’exercice vétérinaire réservé aux chats. Pourtant, certains chats me font parfois mentir et parviennent parfaitement à réguler leur poids malgré un régime tout croquettes en libre service, mais ils sont une minorité.

L’impact des glucides dans l’obésité des chats continuera de faire débat pendant longtemps, faute de preuves inébranlables. C’est la même chose que l’implication du cholestérol dans les maladies cardiovasculaires chez l’homme, alors que c’est le sucre le responsable. Dans cette histoire, les intérêts économiques en jeux sont déterminants pour l’industrie du Petfood. Car leur appétit pour l’argent est inconciliable avec l’appétit des chats pour les protéines. La mis au point du Dr Laflamme est toutefois remarquable. Seul bémol, elle a travaillé plus de 25 ans chez Purina !

  • 1. D. LAFLAMME et al. Evidence does not support the controversy regarding carbohydrates in feline diets – JAVMA (2022)
  • 2. D. LAFLAMME– Understanding the nutritionnal needs of healthy cats and those with Diet-Sensitive Conditions – Veterinary Clinics (2020)
  • 3. A.S. GREEN et al. Cats are able to Adapt protein oxidation to protein intake provided their requirement for dietary protein Is met. J Nutr (2008)
  • 4. A.K. HEWSON-HUGUES and al – Geometric analysis of macronutrient selection in the adult domestic cat, Felis catus – The Journal of Experimental Biology (2011)
  • 5. D. RAUBENHEIMER, S.J. SIMPSON – Pourquoi les animaux ne font pas de régime (Ed. Les arènes, 2021)
  • 6. ASARO et al – Carbohydrate level and source have minimal effects on feline energy and macronutrient metabolism – J Anim Sci (2018)

2018 pour les chats: « On ne croq’ plus, on soupe ! »

En ce début d’année, c’est le moment de formuler nos bonnes résolutions. Alors, si ce n’est pas encore pas fait, c’est l’occasion d’envisager l’abandon du régime « tout-croquettes » pour votre chat, et passer à l’alimentation mixte (ou bi-nutrition).

Peut-être avez-vous déjà tenté de le faire, sans succès. Il est vrai que surmonter l’addiction des chats pour les croquettes est souvent un véritable challenge. Et bon nombre de chats ont eu raison de la patience de leur propriétaire. Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. C’est donc au prix de votre persévérance que vous donnerez une chance supplémentaire à votre chat de rester longtemps en bonne santé.

Dans cette perspective, un nouveau « produit de niche » s’offre aux papilles de ces chats difficiles, ce sont les soupes. Celles-ci semblent souvent très attractives pour eux. De ce fait, elles trouvent incontestablement leur place dans l’arsenal de séduction pour les chats réfractaires à l’alimentation humide.

La soupe, c’est surtout bon pour les grands.

Les soupes pour chats conviennent essentiellement aux chats adultes, car leur densité énergétique est faible, ce qui va à l’encontre des besoins des très jeunes chatons. En favorisant une consommation d’eau supérieure, on intervient à plusieurs niveaux sur la santé des chats adultes.

Comme nous l’avons évoqué dans le précédent article, l’eau qui compose les aliments est l’un des principaux facteurs de satiété pour le chat. Mais en plus, quand les chats d’intérieur ingèrent plus d’eau, ils auraient un niveau d’activité plus élevé(*). C’est ce que montrent plusieurs études récentes. Et cela, même lorsque l’on se contente de mouiller les croquettes. Cela est donc probablement une bonne stratégie pour prévenir ou diminuer l’obésité des chats.

Enfin, pour les chats présentant des problèmes urinaires, il est primordial de stimuler leur consommation d’eau. Plus celle-ci est importante, moins la saturation relative en struvites et oxalates de calcium des urines est élevée. Ces cristaux sont les principaux responsables des calculs urinaires chez le chat. Ainsi, on a pu montrer que la densité urinaire diminuait fortement lorsque l’on passait d’un régime alimentaire exclusivement sec (6,3 % d’humidité), comparé à des régimes intermédiaires, et à un régime uniquement humide proche des proies naturelles du chat (73,3 % d’humidité). Dans ces conditions, les chats urinent aussi plus fréquemment, ce qui diminue encore les risques de formation des calculs (*)

Quels sont les besoins en eau d’un chat ?

Pour faire simple, on peut estimer qu’un chat adulte a besoin de 1 ml d’eau par kilocalorie ingérée. Sachant qu’un chat pesant de 4 à 5 kilos a besoin de 200 à 250 kcal par jour, il a aussi besoin de 200 à 250 ml d’eau. Seuls les chats mangeant une alimentation à 100 % humide parviennent à ce chiffre.

En effet, les chats adaptent leur consommation volontaire d’eau à leur type de régime alimentaire, mais dans une certaine mesure seulement. Ainsi, les chats soumis à un régime humide boivent jusqu’à six fois moins (voire pas du tout) que les croquettivores, qui se jettent sur le bol d’eau dès la fin de leur repas. Mais surtout, la différence est flagrante lorsque l’on considère la consommation totale d’eau, issue à la fois des aliments et de l’eau de boisson. Sans surprise, elle est la plus basse avec le régime sec. Et l’alimentation exclusivement humide sous forme de pâtée est la seule qui est à même de couvrir l’essentiel des besoins en eau des chats.

De plus, il est probable que la composition différente en macro-nutriments de ces différents régimes contribue à une prise d’eau différente. En présence de taux protéiques supérieurs, ce qui est le cas des pâtées, les chats boivent davantage. Enfin, la texture collante des pâtées, du fait des agents gélifiants qui la composent, semble aussi stimuler la prise d’eau après le repas.

D’ailleurs cette sauce déplaît rarement aux chats. C’est même un régal pour eux. Au point que bon nombre d’entre eux délaissent les bouchées (de viande). C’est probablement ce qui a motivé les industriels à développer les soupes pour les chats. Alors étudions de plus près comment ces soupes peuvent participer aux besoins hydriques et nutritionnels des chats.

Les soupes pour chats… des aliments complets ou complémentaires ?

Pour certaines références, comme Gourmet Crystal ou Sheba Classic Soup, il s’agit clairement d’aliments complémentaires, sans additifs, mais potentiellement carencés en taurine et vitamines thermolabiles (thiamine). Ces marques misent sur le goût et la texture de leurs savoureux bouillons. On accède à une nouvelle dimension, celle de l’expérience gastronomique pour les chats. Et d’après certains témoignages, le plaisir semble réel. Le choix d’ingrédients « nobles », plus goûteux et riches en protéines y contribue beaucoup. En conséquence, le taux de glucides y est modéré, mais pas optimal (10 à 20%). Les fabricants recommandent de consommer un sachet par jour, en plus d’un aliment complet. Cet amuse-bouche de 40 g est donc très loin du compte pour couvrir les besoins en eau de votre chat. Mais c’est déjà un début.

Chez Whiskas, la spécialité c’est la sauce. Et bon nombre de chats en sont friands. Avec les soupes Whiskas, les chats retrouvent le goût Whiskas, mais avec encore plus de sauce. En outre, les nutriments sont en quantité et proportion équilibrées, ce qui autorise à ces soupes de prétendre au qualificatif d’aliment complet. Mais peut-être un peu trop riche en glucides (25 %). Sur la base de ce seul critère, ces aliments seraient plutôt médiocres. C’est toujours mieux que des croquettes à 40 % de glucides. C’est donc à proposer sans modération aux irréductibles croquettivores, qui ne boivent pas assez. Mais par la suite, il faudra envisager mieux si l’on veut diminuer significativement la part des glucides dans leur alimentation.

Le véritable point positif de ces produits, c’est donc qu’ils constituent véritablement un apport complémentaire en eau.

A part la soupe, comment passer votre chat à l’humide ?

Lorsqu’un chat a une préférence alimentaire bien établie, c’est extrêmement délicat de lui faire quitter sa zone de confort. Il a tendance à se méfier de la nouveauté, il est néophobe, C’est surtout problématique lorsqu’il n’a pas fait l’expérience très jeune de la diversité. Et pour certains chats, il faudra bien plus qu’une soupe onctueuse et délicieuse, déposée sous son nez, pour qu’il daigne manger autre chose que ses croquettes « qu’il adore ».

Passer un chat à l’humide requiert beaucoup de patience et d’astuce. Pour certains chats, cette transition demandera jusqu’à trois mois. En premier lieu, il faut utiliser la sensation de faim qu’éprouve naturellement votre chat. Pour ces chats obstinés, il faut donc d’abord arrêter l’alimentation en libre-service. Car la nouveauté ne l’intéressera pas si son bol de croquettes est plein. A l’inverse, ne le privez pas de nourriture pendant 24 heures. Cette frustration a davantage de chance de créer une aversion définitive pour cette nouvelle pitance.

Il faut du tact et de la mesure. Instaurez un rythme de deux distributions de croquettes par jour, en accentuant petit à petit le déficit calorique journalier (20 grammes de croquettes matin et soir, par exemple). Laissez ces repas à disposition pendant 20 à 30 minutes, puis retirez les. Au bout de quelques jours de restriction, essayez alors de présenter un peu de pâtée (ou soupe) à votre chat.

Si à ce stade, il refuse encore la pâtée, il faudra diminuer davantage les portions de croquettes (sans passer sous les 50 % de ses besoins caloriques). Souvenez-vous d’être patient et de ne pas vous décourager. Vous pouvez aussi faire précéder les repas par une séance de jeu, ou avoir recours aux puzzles alimentaires pour chats. L’exercice stimule l’appétit.

Quelques trucs quand il ne mange pas sa soupe.

Pour les chats les plus réfractaires, voici quelques idées supplémentaires:

  • caressez votre chat lorsqu’il est devant sa pâtée
  • passez sur ses lèvres votre doigt imprégné de sauce
  • essayez plusieurs textures et goûts différents
  • incorporez quelques morceaux de poulet cuit ou poisson dans la pâtée
  • pilez des croquettes, que vous saupoudrerez sur la pâtée ou la soupe
  • saupoudrez dessus un peu de fromage râpé ou parmesan
  • saupoudrez un peu de Fortifiora (probiotiques)… une petite pincée comme du sel de truffe pour vos plats
  • mélangez quelques croquettes avec seulement la sauce des pâtées
  • ou inversement, mélangez quelques bouchées humides avec les croquettes

En conclusion, les soupes pour chats sont une excellence façon d’amener votre chat à boire ses aliments avec plaisir. Mais pour le qualitatif, il faudra aller plus loin dans la sélection de l’alimentation humide de votre chat. Si votre chat mange le minimum préconisé de 100 g de pâtée par jour, celle-ci devrait comporter idéalement moins de 10 % de glucides. Il est préférable de diviser cette quantité en deux repas matin et soir, et d’ajouter une à trois cuillères à soupe d’eau, versées dessus.

Enfin, les soupes pour chats sont souvent chères, jusqu’à 3 € les 100 g pour certaines. Composée de 88 % d’eau, cela nous fait quand même 34 euros le litre d’eau.  A ce prix, même si votre chat ne lèche que la sauce des sachets-fraîcheur classiques, le bénéfice pour votre chat serait équivalent, mais très supérieur pour votre portefeuille.

Bonne année 2018.

Dessin Philippe BERNARD.

(*) D.G.Thomas -The effect of changing the moisture levels of dry extruded and wet canned diets on physical activity in cats – Journal of Nutritional Science (2017)

Le contrôle de la satiété chez le chat

Le contrôle de la satiété permet de prévenir l’obésité, mais pas de la soigner.

Le contrôle de la satiété est au coeur de la problématique de l’obésité du chat. Ainsi, certains chats semblent pouvoir consommer en quelques minutes leur quota de calories quotidiennes. Alors que d’autres, ayant un accès permanent à la nourriture, parviennent à se réguler et sont de ce fait épargnés par l’obésité. Ce dysfonctionnement dans le contrôle de la prise alimentaire est loin d’être entièrement élucidé. En effet, la régulation de la satiété est un processus très complexe qui concerne autant l’estomac que le cerveau.

Glouton ou boulimique.

Contrôler les facteurs influençant la satiété suppose au préalable d’identifier la séquence comportementale défaillante chez votre chat.

Certains chats sont manifestement en proie à une gloutonnerie comparable à celle de Garfield. Ils mangent de façon excessive, comme s’ils ne sentaient pas leur estomac se remplir. Ils donnent l’impression de ne pas percevoir de signal pour s’arrêter de manger. Là, c’est la satiété intra-repas (ou rassasiement) qui est inopérante. Cette situation est certainement la plus simple à régler. Il suffira de jongler entre différentes mesures nutritionnelles bien connues, portant sur le rationnement, le contrôle calorique, l’appétence ou le profil en macro-nutriments des aliments consommés.

Par contre, pour d’autres chats, c’est la satiété inter-repas qui est défaillante. Ces affamés n’ont de cesse de réclamer entre les repas. A peine l’estomac rempli, il ne décolle pas de vos jambes en vous guidant vers la cuisine. S’ensuit la sérénade de miaulements monocordes qui achève de vous scier les nerfs. Lutter contre ce trouble obsessionnel compulsif est une véritable gageure. ll faut parvenir à tromper le cerveau de votre chat avec des stratégies le souvent non alimentaires.

Mettez-le à l’eau…

A plusieurs reprises, dans mes articles précédents, j’ai pris le raccourci d’affirmer que les protéines et l’eau étaient les principaux contributeurs à la satiété des chats. Allons plus loin.

En fait, plus un aliment contient d’eau, plus il contribue la sensation de remplissage et de distension de l’estomac. Au delà d’un certain seuil, qui correspondrait au volume d’une souris selon certains, un inconfort digestif commence à s’installer (ballonnement, nausées…). C’est la satiété intra-repas.

D’un point de vue évolutif, les  chats ne sont pas adaptés aux modifications extrêmes de la nourriture industrielle. Les chats « modernes » (comme les humains) évaluent très mal la densité énergétique (kcal/g) des aliments qu’ils ingèrent. Surtout lorsque celle-ci est très éloignée de leur alimentation originelle. Autrement dit,  30 g de viande et 30 g de croquettes procurent la même sensation de satiété à votre chat.

Il est donc crucial de privilégier les aliments humides, dont la teneur en eau se rapproche ce celles des proies du chat dans la nature.

… et aux protéines.

Il est communément admis que les protéines ont un pouvoir satiétogéne puissant. Mais pour cela, il faut que le taux de protéines soit bien supérieur aux 30 % présents dans la majorité des croquettes. Pourquoi ?

Le premier mode d’action avéré fait intervenir des cellules présentes dans l’estomac et l’intestin grêle, qui « sentent »  la présence de protéines (1). Un signal serait alors émis dès le début du repas et directement communiqué au cerveau, et amplifié par le pancréas.

En outre, il est envisageable que la vitesse d’apparition des acides aminés dans le sang puisse aussi jouer le rôle de signal. C’est le concept de protéines «lentes» et «rapides». Les aliments liquides là encore semblent plus efficaces. Car le temps de transit des protéines dans l’estomac est supérieur en présence d’un aliment solide. En outre, les protéines « industrielles » sont partiellement dénaturées par la cuisson, ce qui ne signifie pas qu’elles soient indigestibles ou moins bio-disponibles. Mais l’agrégation des protéines les rend moins accessibles aux enzymes digestives (protéases), d’où une libération plus tardive des acides aminés.

Finalement,  les pâtées ou la « vraie » viande sont à privilégier pour la satiété, en raison leurs teneurs idéales en eau et en protéines.

Les solutions peu concluantes sur la satiété

C’est le cas des régimes riches en fibres. Intuitivement, on pourrait penser que les fibres contribuent à la satiété comme l’eau, du fait de la distension de l’estomac qu’elles occasionnent. Même les spécialistes de Royal Canin sont dubitatifs: « Leurs effets sur le rassasiement et la satiété sont assez mal décrits (…) Selon certains chercheurs, les fibres n’auraient aucun intérêt particulier pour la satiété avec une alimentation diluée en énergie et riche en humidité. » (2). Autrement dit, le régime pâtée – courgettes a peu d’intérêt.

Les aliments riches en matières grasses ont un effet moins puissant que les protéines sur le contrôle de la satiété. Bien sûr, les aliments trop gras sont déconseillés. Toutefois, on constate que les aliments humides pour chats du commerce qui sont généralement riches en graisses, ne sont pas un facteur de risque d’obésité, au contraire.

Enfin, toutes ces mesures ont leur limite car leur effet est souvent transitoire. L’organisme « apprend » à contourner les multiples signaux de satiété, pour finalement rétablir son apport calorique habituel. Pour lui, l’important est de protéger son capital, sa réserve de tissu adipeux. C’est cette réserve de graisse qui a permis au chat de s’adapter aux périodes d’abondance et de disette pendant des millénaires. En s’attaquant à elle, on enclenche une cascade de réponses physiologiques qui s’opposent à tout régime restrictif.

Tromper le cerveau de votre chat.

Alors comment aller plus loin ? Comment réduire la prise alimentaire sans exciter la faim et stimuler les défenses biologiques ?

La faim reste la maîtresse du jeu. Une première solution consiste à jouer sur les volumes. Lorsqu’un chat ne mange que des croquettes, l’introduction d’un aliment humide pour remplacer une fraction de ses croquettes semble temporairement apaiser sa faim. Cela oblige à peser et rationner les croquettes de façon stricte. Car paradoxalement, la multiplication du nombre de sources alimentaires laissés à disposition, est  aussi responsable d’une moins bonne régulation de la satiété et des calories ingérées (2).

Pour un effet durable, il est préférable par la suite de ne conserver que l’alimentation humide. Les apports journaliers seront répartis sur trois ou quatre repas.  Vous pourrez alors diminuer petit à petit la taille de chaque repas. Car l’organisme de votre chat « accepte » mieux les changements minimes.

Personnellement, j’ai constaté qu’un mélange de pâtée avec de la viande maigre (ou poisson) donnait les meilleurs résultats sur la satiété, dans le cadre d’un régime hypocalorique. Mais si votre chat continue malgré tout de réclamer, vous pouvez lui concéder quelques croquettes en votre présence, distribuées comme des gourmandises.

Apaiser le cerveau de votre chat.

De nombreuses zones du cerveau sont impliquées dans le contrôle de la prise alimentaire. Plusieurs études ont révélé l’importance du système limbique, ou cerveau émotionnel.

Les chats inactifs ou vivants en appartement ont un risque d’obésité plus grand. Mais ce n’est pas tant l’activité physique qui est en cause, c’est le cerveau. L’un subit les effets de l’ennui et du stress en milieu clos, alors que l’autre s’adonne à la méditation contemplative, reluque ce qui se passe chez le voisin ou torture à l’envie un rongeur de passage. La solution est donc de multiplier les enrichissements dans l’environnement de votre chat, les occasions de jeu, les interactions avec vous, « leur humain », ou d’autres animaux.

Et la résolution la plus pertinente sera de changer sa vaisselle de table. Oubliez définitivement les gamelles pour les croquettes. Ainsi, pour en finir avec la routine et la monotonie, adoptez les « food puzzles » pour chats ! Cette solution offre le double avantage de préserver la santé physique (risque d’obésité) et  mentale de votre chat. En effet, les chats ont conservé leur instinct naturel de travailler pour manger. Avec cette variante ludique, vous trompez la faim de votre chat car « il mange plus lentement ». De plus, votre chat éprouve le plaisir que lui apporterait une authentique partie de chasse. Les endorphines libérées dans son cerveau contribueront à sa sensation de bien-être, de détente et de relaxation. Juste assez pour accepter, au passage, une petite restriction du nombre de croquettes journalières.

Avec ces nouveaux jeux, les résultats sont parfois miraculeux. Les chats retrouvent le goût de jouer. Mais surtout, on observe une diminution des troubles psycho-somatiques et comportementaux liés au stress, de la boulimie en particulier. Enfin pour vous, c’est l’occasion d’exprimer toute votre inventivité et votre créativité  en « détournant » quelques objets voués au rebut (http://www.foodpuzzlesforcats.com/homemade-puzzles).

La microflore intestinale et le cerveau « marchent » ensembles

L’idée que la microflore intestinale soit impliquée dans les troubles de l’humeur, les comportements dépressifs, et le stress est corroborée par l’observation et plusieurs études sur l’homme et les animaux. Ce nouveau domaine scientifique s’appelle la psychobiotique… appliquée aux chats, bien sûr.

Bon nombre de propriétaires me rapportent une réduction significative des comportements liés à l’anxiété de leur chat, après avoir modifié leur régime alimentaire. Une fois de plus, le passage à la bi-nutrition mais encore davantage à l’alimentation hybride, se révèle bénéfique. Comment l’expliquer ? Il est probable que l’incorporation significative de viande crue ou légèrement cuite induise un changement positif dans la composition de la microflore. Certaines souches bactériennes (Lactobacillus notamment) auraient la propriété de produire des neurotransmetteurs (GABA), ou d’augmenter la production de sérotonine par l’intestin.  Ces deux « hormones du bonheur » ont des effets positifs sur la dépression et l’anxiété. Sur le long terme, ce mécanisme participerait à l’effet satiétogène de la viande pour les chats.

Comme chez l’homme, les études scientifiques portant sur le microbiote intestinal du chat sont encore peu nombreuses. Néanmoins, une étude pilote a été menée et confirme que la microflore des chats obèses ou en surpoids semble altérée, par comparaison avec celle de chats minces (3). Il est probable que cette altération soit la conséquence d’un régime alimentaire favorisant l’obésité. Et selon moi, le régime « tout-croquettes », hyper-glucidique, explique ces modifications négatives de la microflore du chat.

Satiété et obésité: les maux de la faim.

Inversement, cette flore intestinale « industriellement » modifiée participe certainement à la résistance de l’organisme aux régimes alimentaires restrictifs prescrits aux animaux obèses. Le contrôle de la satiété permet  de prévenir l’obésité, mais pas de la soigner.

D’ailleurs, les spécialistes nutritionnistes partagent ce constat d’échec, tout en rejetant la responsabilité sur les propriétaires. « Actuellement, le traitement de choix de l’obésité canine et féline est la restriction alimentaire associée à des mesures destinées à augmenter l’activité physique. Ce traitement est souvent inefficace du fait de la mauvaise observance des propriétaires confrontés à des démonstrations de faim et/ou de baisse de la satiété de la part de leur animal » (2).

Mais ils travaillent sur de nouvelles pistes, l’adjonction de « médicaments à effet satiétogène qui pourraient être des mimétiques ou des agonistes des signaux de satiété » (2).  No comment !

Le contrôle de la satiété est au coeur de la problématique de l’obésité du chat.

Dessin Philippe Bernard.

Références:

(1) GILOR . et al – New Approaches to Feline Diabetes Mellitus: Glucagon-like peptide-1 analogs –  J Feline Med Sur (2016)

(2) Robert C Backus – Contrôle de la satiété – WALTHAM Focus (2006)

(3) Kieler IN et al.  Overweight and the feline gut microbiome a pilot study.  J Anim Physio Anim Nutr (2016)