« Les protéines végétales … ce sont les meilleurs appâts à souris qui existent ! »
(dessin Philippe Bernard)
L’efficacité alimentaire des protéines ne se résume pas à faire ingérer à un chat une somme d’acides aminés déterminés. Pourtant, en 2016, c’est cette vision simpliste qui prédomine encore, et le critère « valeur biologique des protéines » mérite d’être dépoussiéré. Comme je l’ai suggéré dans le précédent article, il conviendrait de s’assurer que ces acides aminés (AA) soient réellement disponibles après digestion. Cette biodisponibilité dépend avant tout de la structure physico-chimique des aliments ou matrice (1).
Les protéines végétales sont peu biodisponibles.
Les principales sources de protéines végétales sont des graines. Et parmi celles-ci figurent les céréales (blé, maïs, riz, …) et les légumineuses (pois, lentilles, soja, fèverolles, haricots…). Avant d’être des aliments, ces graines sont des organismes vivants composés de cellules. Et ces cellules sont encapsulées par une paroi beaucoup plus épaisse et rigide que la membrane entourant les cellules animales. Ainsi, les grains d’amidon et les amas protéiques contenus à l’intérieur sont protégés des intempéries pour de très longues années.
D’un point de vue nutritionnel, cette barrière physique rend les protéines inaccessibles en l’état aux enzymes de l’estomac (les pepsines). Alors, pour améliorer la diffusion de l’eau au plus près des amidons et des protéines, on pourra procéder à un détrempage, et dans tous les cas les soumettre à une cuisson longue et forte. En dépit de cela, de gros fragments (pour les légumineuses surtout) résistent encore au processus de digestion. On les retrouve intacts dans les parties terminales de l’intestin grêle. Car les matrices végétales contiennent des éléments totalement indigestibles. Dans le jargon scientifique, on dit que leur digestibilité est médiocre. Chez l’homme par exemple, la digestibilité des protéines d’un plat de lentilles ou de haricots blancs n’est que de 50 % à 80 %, contre 95 % pour les protéines des produits laitiers ou carnés.
Finalement, pour digérer les protéines végétales, il faut produire plus de protéases (enzymes découpant les protéines). Ce défaut est crucial pour le chat qui, comme tous les carnivores, possède un intestin très court. Il lui faudrait donc des protéines végétales à digestion rapide. C’est à cela que s’emploient les chercheurs en développant sans cesse de nouvelles techniques, comme l’extraction à basse température des protéines du pois qui permet d’augmenter leur efficacité nutritionnelle.
De mystérieux peptides « bioactifs » dans la viande et le poisson.
Qui plus est, le tube digestif est loin d’avoir livré tous ses secrets. C’est le cas pour la digestion des protéines dans l’estomac. On pensait qu’après l’action des pepsines (les enzymes qui attaquent les protéines), il ne subsistait plus qu’une soupe d’acides aminés simples. Et bien non. L’estomac laisse passer des petits fragments composés de quelques AA liés entre eux, des peptides. On retrouve ces mêmes peptides en présence de viande ou de poisson, présentant pourtant des matrices très différentes (2). Et ceci quelque soit le mode de cuisson, cru, en sashimi, poêlé ou braisé durant plusieurs heures. Ces fragments de protéines sont des séquences d’AA provenant des protéines de fibres musculaires, l’actine et la myosine.
Les qualités nutritionnelles des protéines animales vont donc au-delà de leur capacité à fournir des acides aminés. Ces peptides bioactifs interviendraient dans de divers processus biologiques. Ils sont inconnus dans l’univers rigide des végétaux !
Le chat a besoin de protéines « rapides ».
Comme pour les sucres, un nouveau concept s’impose: celui de protéines « lentes » et « rapides » (à absorber). Alors que jusqu’à présent, on s’inquiétait seulement de savoir si une protéine contenait tel ou tel AA, considéré comme indispensable ou non. On sait désormais que la vitesse de libération des AA dans l’intestin grêle est primordiale. Cette cinétique de libération des AA peut influencer fortement l’effet santé d’un aliment.
L’intestin très court du chat exige des protéines à digestion rapide. Et bien, c’est le cas pour la viande. La cinétique d’apparition des acides aminé dans le sang suite à l’ingestion de viande ou de poisson est maximale. Cette notion permettrait peut-être aussi de revoir les stratégies nutritionnelles. Ainsi, pour les chats insuffisants rénaux, un petit repas de viande fraîche par jour, permettrait de relancer la synthèse protéique musculaire.
Le chat a besoin de protéines non (mal)traitées.
Nous n’avons pas une connaissance complète des compositions des «sous-produits » soumis à des traitements technologiques brutaux, comme les farines de viande ou de poisson, les farines de gluten, les isolats de légumineuses, …Et cela même lorsque ces traitements technologiques ont vocation à augmenter la digestibilité des aliments. D’ailleurs, le raffinage et la déstructuration des grains de céréales et de légumineuses n’ont pas démontré d’effets positifs pour la santé du chat.
Les traitements technologiques affectent aussi la structure 3D des protéines animales. Ainsi, le hachage et le chauffage favorisent l’oxydation des protéines. La lysine, l’arginine, la cystéine, la phénylalanine et la tyrosyne y sont particulièrement sensibles, et ce sont ceux pour lesquels le chat est le plus exigeant. En outre, dès 5 minutes de cuisson à 100°C, les protéines animales se dénaturent (elles se retournent), allant jusqu’à former des agrégats. Les protéines animales se lient alors entre elles, ou avec des glucides (réactions de Maillard). Ces modifications diminuent leur solubilité et empêche les sucs digestifs de les «attaquer», ce qui diminuent leur valeur nutritionnelle.
Le concept de synergie alimentaire.
Au delà des seules protéines, la tendance est à considérer l’aliment non plus comme un ensemble de composés isolés mais comme une somme de composés imbriqués. Or, ces composants seraient en interaction les uns avec les autres. C’est le concept de synergie alimentaire (3).
Cette notion incite à recourir à des aliments « naturellement » complets comme du muscle ou du foie, au lieu de mélange d’ingrédients technologiquement modifiés, et potentiellement imprévisibles. Car des protéines animales déshydratées, privées des lipides, des vitamines et des minéraux qui vont naturellement avec, sont certainement moins nutritives qu’un aliment complet comme la viande fraîche.
Les ingrédients des croquettes (5)
Au delà, même les sous-produits animaux « frais » peuvent avoir un comportement imprévisible. Issus du parage des viandes destinées à l’homme, ils ont des compositions extrêmement variables en fonction des procédés de fabrication et de conservation de chaque fournisseur. Même l’espèce animale a son importance. Ainsi, l’agneau serait moins digestible que le porc, …
« Viande fraîche »: le must.
Grace aux données scientifiques les plus récentes, il nous est désormais impossible de résumer la nutrition à une somme de nutriments et micro-nutriments. Car les éléments constitutifs d’un aliment ne sont pas biodisponibles à 100 %. C’est pourtant ce que font et continueront de faire les fabricants d’aliments industriels, en invoquant des équilibres alimentaires qui sont des trompe-l’oeil.
L’incorporation d’aliments complets pour la fabrication industrielle doit aussi devenir un standard. Ce critère exclut définitivement l’usage des protéines végétales, qui demandent des procédés d’extraction complexes pour un bénéfice nutritionnel inexistant. Certains fabricants en prennent conscience, et incorporent davantage de viandes fraîches, parmi lesquelles une proportion importante de muscle, pour les aliments destinés aux chats. D’autres, toujours les mêmes d’ailleurs, explorent de nouvelles sources de protéines… rentables. Comme les protéines d’insectes (4).
Alors pour l’heure, le label « P.A. » (Protéines Animales) doit être recherché. C’est une garantie nécessaire mais pas suffisante. La mention « Viande fraîche », éventuellement assortie du pourcentage de muscle et de l’espèce d’origine, est un critère qualitatif indispensable.
Avec un suprême de volaille ou un morceau de bavette de boeuf, la question ne se pose plus… vous approchez de ce qu’il y a de meilleur pour la santé de votre chat.
Références:
(1) A. Fardet et Al. structure des aliments et effets nutritionnels. Ed. Qaæ (2013).
(2) J. T Ryan. Bioactive Peptides from Muscle Sources: Meat and Fish. Nutrients (2011)
(3) D. R. Jacobs. Food synergy: an operational concept for understanding nutrition. Am J Clin (2009)
(4) Guido Bosch et al. Protein quality of insects as potential ingredients for dog and cat foods. Journal of nutrition science (2014).
(5) Jérémy Anso. « Ce poison nommé croquettes » (http://www.dur-a-avaler.com)