Faut-il avoir peur de la viande pour les reins des chats ?

Aucune étude n’a pu montrer que les protéines alimentaires apportées par la viande sont toxiques pour les reins des chats.Très en vogue, les régimes hyper-protéiques ont des vertus incontestables chez l’homme. Notamment, ils permettent un meilleur contrôle du poids. Plusieurs études bien documentées le confirment, mais elles pointent aussi les risques potentiels pour le squelette et la fonction rénale.

Toutefois, le chat est un hypercarnivore, et manger de la viande pour lui n’est pas une simple mode, c’est un usage. De plus, son squelette semble à l’abri des fractures du col du fémur, qui ne concernent que les chats « parachutistes ». Cependant, il est de notoriété publique que les reins sont le point faible des chats, surtout en vieillissant. Alors est-il judicieux de limiter le recours à la viande pour prévenir ce risque ?

Erreurs et confusions autour de la viande.

Depuis près d’un siècle, on sait que les protéines augmentent le débit de filtration au niveau des reins. Il était donc légitime de penser que cela puisse « fatiguer les reins » sur le long terme. En fait, cette hyperfiltration rénale est un mécanisme de régulation normal en présence d’une overdose protéique, de même que le pancréas sécrète davantage d’insuline lors d’un repas riche en sucre. Finalement, à ce jour, toutes les observations ont montré l’absence d’impact négatif de régimes riches en protéines sur la fonction rénale des animaux sains. Une étude récente a même montré que la consommation accrue de protéines chez le chat aboutissait à une légère diminution du taux de créatinine dans le sang (1).

On avait déjà fait cette observation paradoxale avec des chats « néphrectomisés » à 80 %. Cet essai est le seul a être correctement randomisé et contrôlé avec un lot témoin (2). Deux lots de chats, respectivement nourris avec 27,6 % et 51,7 % de protéines par rapport à la matière sèche, furent comparés après une période de un an. Et bien, les marqueurs de la fonction rénale (débit de filtration glomérulaire et créatinine) étaient meilleurs pour les chats nourris avec le régime le plus protéique !

L’urée est aussi à l’origine de confusion. Trop d’urée pour bon nombre de propriétaires de chat est synonyme d’insuffisance rénale. En effet, l’urée participe à l’élimination des déchets protéiques non utilisés par l’organisme. Elle est synthétisée dans le foie puis filtrée de façon passive (avec l’eau) par les reins.  Toutefois, plus votre chat consomme de protéines, plus son taux d’urée a des chances d’augmenter sans pour autant que ses reins en souffrent. Car l’urée constitue un déchet normal.

Les marqueurs de l’insuffisance rénale.

L’urée et la créatinine sont deux biomarqueurs qui caractérisent la fonction rénale. Ainsi, lorsque la fonction rénale est altérée, l’urée et la créatinine ont tendance à s’accumuler dans le sang. A la différence de la créatinine, l’urée constitue un marqueur imparfait de la filtration glomérulaire. Des discordances entre l’urée et la créatinine sont souvent observées. Le taux de créatinine dans le sang semble mieux corrélé aux signes d’altération rénale.

Mais le plus surprenant est que l’urée n’a aucun effet toxique pour l’organisme, même à des niveaux élevés. Toute la communauté néphrologique s’accorde sur ce point. C’est la même chose pour la créatinine. Cela explique pourquoi les vétérinaires rencontrent parfois des chats quasi asymptomatiques avec des taux hallucinants de créatinine.

En fait, il existe d’autres déchets métaboliques responsables du syndrome urémique. Ce sont les toxines urémiques. Chez l’homme, on en décompte plus d’une cinquantaine. Les toxines urémiques exercent des actions biologiques délétères lorsqu’elles s’accumulent dans le sang ou les tissus. On les classe selon leur taille. Les plus petites sont souvent des molécules solubles dans l’eau (phosphates, oxalates…). Alors que les plus grosses se lient aux protéines sanguines. L’importance de ces dernières est probablement sous-estimée. Et pour celles-ci, ni une dialyse ni une perfusion de plusieurs jours en clinique ne permettent de les enlever du sang.

Au final, ces substances interagissent entre elles et sont responsables de phénomènes inflammatoires, de malnutrition, autant de conséquences qui diminuent l’espérance de vie.

Les toxines urémiques ne proviennent pas forcément de la viande.

A ce jour, on ignore quasiment tout de ces toxines chez le chat. Elles proviennent probablement en partie de l’alimentation, mais rien n’est démontré.

Ainsi, il se peut que seules certaines protéines alimentaires soient responsables de la fabrication de toxines. Chez l’homme, ces toxines sont aussi produites dans le corps en lien avec des stress oxydatifs ou des maladies inflammatoires chroniques. On sait aussi que bon nombre d’entre elles sont synthétisées par les bactéries du gros intestin (composés indoliques et phénoliques). D’où l’intérêt qu’il peut y avoir à renforcer la barrière intestinale, pour empêcher le passage de ces composés toxiques. La flore bactérienne et le mucus sont les principales composantes de cet effet « barrière », et la viande les favorise probablement.

De plus, en vieillissant, la destruction des protéines (le catabolisme) prend le dessus sur la synthèse protéique (l’anabolisme). Ce dérèglement pourrait aussi être générateur de toxines urémiques. Finalement, on se focalise sur un éventuel effet toxique des protéines (et notamment de la viande) pour les reins, alors qu’il faudrait plutôt élucider les mécanismes qui génèrent ces toxines.

Le nouveau péril avec la viande: le phosphore.

Toutefois, si la fausse bonne idée d’une restriction protéique pour les chats âgés commence à faire son chemin, un autre suspect est montré du doigt. Il replace la viande au banc des accusés. C’est le phosphore. Cette toxine urémique est la plus « visible », mais a-t-elle un rôle déterminant dans le vieillissement rénal ?

En effet, la viande (comme le poisson) est très riche en phosphore. Et chez les chats en bonne santé, le taux de phosphore dans le sang est régulé principalement par les reins. Lorsque les reins sont défaillants, l’élimination du phosphore en excès est compromise. La phosphorémie augmente, et il a pu être démontré que cela allait de paire avec une espérance de vie moindre. Dans le cas des chats à des stades avancés d’insuffisance rénale, la limitation du taux de phosphore dans l’alimentation semble les préserver de certaines lésions rénales (minéralisation, fibrose, infiltration par des cellules inflammatoires). C’est pourquoi la restriction du phosphore s’est imposée comme une mesure incontournable du suivi des chats insuffisants rénaux.

Alors faut-il faire la chasse au phosphore chez les chats sains, à titre préventif ? Non, c’est injustifié. Même si bon nombre de chats âgés sont des insuffisants rénaux qui s’ignorent. Un essai très récent a tenté de démontrer l’intérêt d’une restriction « raisonnable » en protéines et en phosphore (3). Il portait sur des chats de plus de 9 ans, et a duré un an et demi. C’est probablement trop court comme durée, mais ce n’est pas le seul point faible de cette étude. Néanmoins, les auteurs concluent que ce régime modérément restrictif n’a pas d’effet bénéfique pour la fonction rénale des chats âgés en bonne santé.

Un taux de phosphore contrôlé pour les chats âgés…

Si chasse au phosphore il devait y avoir pour les chats âgés sains, elle ne devrait pas se faire sur l’ensemble de la ration alimentaire. Une diminution globale du phosphore va de paire avec une restriction protéique, et cela expose les chats à une dénutrition susceptible de diminuer leur longévité. De plus, passés douze ans, les chats digèrent moins efficacement les protéines et les matières grasses, alors que justement leurs besoins caloriques et protéiques augmentent. Pour aggraver la situation, certains chats âgés  montrent une baisse d’appétit. C’est pourquoi des détracteurs des régimes classiques « pour insuffisants rénaux » vont jusqu’à proposer d’augmenter le niveau des protéines dans l’alimentation des chats âgés ou insuffisants rénaux, afin d’inverser cette tendance.

Mon expérience quotidienne m’inciterait à me rallier à la nutrition « hybride » (http://dietetichat.info/si-votre-chat-passait-hybride/). La nutrition « hybride » associe les aliments industriels et les aliments naturels. Elle est tout à fait adaptée à cette tranche d’âge, à condition d’avoir recours uniquement à des aliments humides, bien sûr. Ainsi, on choisira des pâtées « pour chats âgés » qui affichent un taux de protéines suffisants (> 35 %) et un taux de phosphore réduit, mais pas trop (environ 0,7 %). En outre, je pense aussi qu’il faut éviter les aliments riches en protéines végétales, ainsi que les aliments dits complémentaires pour les chats âgés.

… sans renoncer aux bienfaits de la viande.

Pour la partie « aliment naturel », on a donc tout intérêt à privilégier l’unique source de protéines et de matières grasses d’une qualité exceptionnelle pour le chat, la viande. La viande est la meilleure supplémentation existante (et la plus naturelle) en acides aminés indispensables pour le chat. Même en quantité réduite, elle est susceptible d’avoir un effet anabolisant en contrant le phénomène de fonte musculaire des vieux chats.

Dans cet objectif, il est peut-être plus judicieux d’apporter ces protéines appétentes et d’excellente qualité en une seule fois. Ce repas quotidien de viande ne dépassera pas les 30 à 50 grammes. Il apportera des protéines « rapides » et des acides aminés indispensables pour le chat. Dont un en particulier, la leucine, qui stimulerait l’anabolisme protéique postprandial. Chez l’homme, cet acide aminé jouerait le rôle de signal. Quand la leucine atteint un seuil suffisant dans le sang après le repas, la fabrication des protéines se met en marche. Or la viande a une bonne teneur en leucine. De plus sa digestion est rapide, ce qui permet d’atteindre très vite ce seuil nécessaire. En répartissant ces mêmes quantités de viande sur plusieurs petits repas dans la journée, il est possible que nous n’ayons pas cet effet anabolisant.

Ainsi l’alimentation hybride (avec de la viande) permet de contrôler le taux de phosphore, sans prendre le risque de carencer les chats âgés en acides aminés essentiels. Ce qui est le cas avec une alimentation hypo-protidique. Et dans les stades plus avancés d’insuffisance rénale, elle permettra aussi de réduire les symptômes d’urémie.

Un mythe qui a la vie dure.

Juillet 2016, des dizaines de sites internet grand public rapportent les conclusions d’une étude effectuée par les chercheurs de l’université de Singapour. Celle-ci porte sur 63257 adultes chinois âgés de 45 à 74 ans, suivis pendant 15 ans. La viande rouge serait toxique pour les reins. Dans ce cas précis, c’est la viande rouge qui est mise en cause (incluant la viande de porc). Les autres sources de protéines privilégiées en Chine comme le poisson, les oeufs, les produits laitiers ou la volaille, n’ont pas eu la même incidence sur le risque rénal. Le soja et les légumineuses avaient même tendance à jouer un rôle protecteur. Toutefois, les auteurs de l’étude restent prudents. Ils insistent sur le fait que leurs conclusions ne permettent pas d’affirmer que la viande rouge est la cause de l’insuffisance rénale. Mais qu’en apparence, à défaut d’avoir identifié d’autres critères, elle participerait au processus pathologique.

Derrière cette orchestration médiatique, on soupçonne l’influence des puissants lobbies, comme celui des pois chiches ou celui des steaks végétariens. Bon nombre d’études nutritionnelles sont des véritables procès à charge contre une catégorie d’aliments. Et très souvent, elles passent (volontairement ou non) à côté du principal coupable. Ainsi, il est probable que la consommation accrue de viande rouge ne soit pas l’unique changement dans les habitudes alimentaires de la population chinoise lors des vingt dernières années. Quid du sucre par exemple ? Pourquoi n’aurait-il pas une influence ? Chez l’homme, une association est décrite entre le diabète et l’insuffisance rénale (néphropathie diabétique).

Le mot de la faim.

Aucune étude n’a pu montrer que les protéines alimentaires apportées par la viande sont toxiques pour les reins des chats. Mais en revanche, il existe de nombreuses preuves qu’un régime pauvre en protéines est nocif, entraînant la perte de masse musculaire. Ce n’est qu’à partir d’un stade avancé de maladie rénale chronique que se pose la question d’ajuster ou non l’apport en protéines alimentaires. Plutôt que l’apport en protéines, c’est l’apport en phosphore qui doit être contrôlé chez le chat âgé. Et plutôt que la quantité, c’est la qualité des protéines qui importe. Et sur ce point précis, la viande fraîche n’a pas d’égal.

Le chat est un hypercarnivore, et manger de la viande pour lui n’est pas une simple mode, c’est un usage.
« Une chose est certaine. Chasser les vraies souris c’est éreintant !! »

http://www.photl.com

Références:

(1) Backlund B. and al. Effects of dietary protein content on renal parameters in normal cats. Journal of Feline Medicine and Surgery (2011)

(2) Finco D.R .and Al. Protein and calorie effects on progression of induced chronic renal failure in cats. Am J Vet Res (1998)

(3) R.F. Geddes and Al. The Effect of Moderate Dietary Protein and Phosphate Restriction on Calcium-Phosphate Homeostasis in Healthy Older Cats. J Vet Intern Med 2016;