Les calculs urinaires à oxalate de calcium constituent une véritable maladie nutritionnelle émergente pour les chats. De 10 % des cas d’urolithiase avant 1990, ce type de calcul se rencontre dans plus de 50 % des cas depuis les années 2000.
En outre, la présentation clinique de ces urolithiases à oxalate de calcium est souvent très grave. A ce jour, il n’existe aucun moyen connu pour les solubiliser. Et lorsque cela est possible, seule une chirurgie permet de les extraire. S’ils se forment dans les reins, ils risquent de provoquer une obstruction aigüe des uretères, associée à la survenue d’une insuffisance rénale.
Les oxalates de calcium… une véritable énigme.
Il existe bien quelques pistes pour expliquer cette recrudescence de calculs d’oxalate, mais c’est le flou qui domine. Notamment, la mesure préventive la plus efficace est le recours à des aliments spécifiques humides. Est-ce seulement du fait de la présence d’eau ? Ce mystère reste une véritable énigme, mais il se peut que ce soit aussi une mystification.
De nombreux facteurs nutritionnels ont successivement été mis en cause pour expliquer la survenue de ces calculs. Il ne s’agit pas ici d’en faire la liste, mais de regarder le problème selon une autre perspective. Jusqu’à présent, la plupart des investigations pour expliquer la survenue des cristaux d’oxalate de calcium se sont focalisées sur l’autre complice de cette association de malfaiteurs, le calcium. L’oxalate, quant à lui, semble dédouané de toute responsabilité, et pourtant. C’est peut-être parce les sources alimentaires d’oxalate que sont les épinards, les blettes, l’oseille, la rhubarbe, ou les betteraves figurent rarement au menu de nos matous.
En fait, l’oxalate est majoritairement synthétisé dans le foie. On sait que l’oxalate est un déchet toxique provenant du métabolisme des sucres (glucose, fructose…) et de certains acides aminés comme l’hydroxyproline, que l’on trouve surtout dans le collagène (2). Chez l’homme, des mutations génétiques favorisant la fabrication endogène d’oxalates ont été identifiées. Alors, on serait tenté de transposer cela aux chats, et invoquer le hasard, la faute à « pas de chance ». Je pense que les arguments qui suivent vont relancer le dossier.
Un suspect inattendu… les glucides.
Ouahh ! Ça c’est un scoop. Et pour vous en convaincre, recherchez sur Google « glucides + oxalate + chat». Aucun article pertinent n’apparait. Par contre, dans la langue de Shakespeare, cela s’étoffe un peu…
Chez le chat, une étude a démontré de façon fortuite que l’excrétion urinaire d’oxalate augmentait 4 à 5 fois avec un régime alimentaire pauvre en protéines et riche en glucides, comparé à un régime riche en protéines et pauvre en glucides (1). Initialement, l’auteur cherchait surtout à prouver que la présence de collagène favorisait la production d’oxalate. En effet, l’excrétion urinaire d’oxalate était amplifiée lorsque le régime était à la fois riche en glucides et que la source de protéines était du collagène. Au passage, ne retrouve-t-on pas là les défauts majeurs des croquettes de mauvaise qualité ? Trop de glucides à index glycémique élevé (du riz, dans cette étude) et des protéines de médiocre qualité (résidus de parage des carcasses, os et cartilages broyés).
D’autres études ultérieures ont montré que le problème était plus complexe. Mais très récemment, une substance a été identifiée comme étant un précurseur significatif de la formation d’oxalate in vitro, le glyoxal (3). Or chez l’homme, le taux de glyoxal est plus élevé chez les patients diabétiques, et les diabétiques sont plus souvent victimes de calculs urinaires. De façon plus générale, les auteurs de l’étude formulent l’hypothèse que la conversion du glyoxal en oxalate se produit lors de toute agression chimique oxydative de l’organisme (stress oxydatif), comme l’hyperglycémie chronique.
Les urines acides… responsables mais pas coupables.
Pourtant, les croquettes à base de céréales datent de bien avant les années 80. Alors pourquoi cette épidémie est-elle survenue plus tardivement ? Est-ce l’effet d’une mutation spontanée et collective qui a affecté les chats domestiques, ou bien la généralisation d’extravagances de la part des ingénieurs-nutritionnistes de l’industrie du Petfood ?
Initialement, la mise sur le marché des premières croquettes s’est soldée par une épidémie de calculs urinaires chez les chats. Mais il s’agissait alors de calculs de struvite, ou phosphates ammoniaco-magnésiens. Un taux de magnésium excessif dans l’alimentation a été identifié comme la cause principale. Toutefois, malgré la limitation du magnésium, les chats « bouchés » continuaient d’être un problème récurrent.
On s’est aperçu que les cristaux de struvite, favorisés ou non par des bactéries, se formaient davantage dans les urines alcalines (pH supérieur à 7). D’où l’idée d’élaborer des stratégies pour acidifier les urines. Cette démarche s’est avérée très efficace, puisque cela permet même la dissolution des calculs de struvite. Seulement le mieux est parfois l’ennemi du bien. Et une application trop stricte de cette mesure sur une période prolongée favorise la cristallisation des oxalates de calcium. Ces mesures préventives expliquent pourquoi on a observé une augmentation des oxalates de calcium concomitante avec la raréfaction des struvites jusqu’en 2003.
Mais, les conditions de survenue des calculs d’oxalate étaient déjà présentes dans les années 80. Les urines étaient probablement déjà sursaturées d’oxalates, mais les précurseurs alcalins apportés par les céréales des croquettes favorisaient leur élimination sous forme soluble par les urines alcalines. Ce sont les régimes très acidifiants qui ont « précipité » et révélé le problème des oxalates.
Pourquoi les chats doivent-ils changer de régime après 7 ans ?
Bizarrement, les calculs d’oxalate se manifestaient préférentiellement sur les chats âgés de plus de 7 ans. Et c’est la même chose pour le diabète ! Ce qui renforce l’idée d’une cause commune à ces deux problèmes de santé majeurs chez le chat. Dès lors, la déclinaison des croquettes selon l’âge des chats s’est généralisée (jeune adulte versus mature après 7 ans). L’objectif affiché est donc de générer des urines un peu moins acides après 7 ans, tout en prévenant d’autres effets secondaires négatifs de l’acidification (déminéralisation osseuse, troubles rénaux et cardiaques). Du coup, les oxalates ont légèrement reflué pour se stabiliser depuis 2003.
Les données épidémiologiques sont unanimes. L’acidose métabolique et l’acidurie sont bien des facteurs de risque pour les lithiases oxalo-calciques. Mais le problème demeure encore. Tout simplement parce que la prévention nutritionnelle actuelle, si elle n’est pas contre-productive, consiste en de multiples mesurettes peu efficaces.
Réduire les protéines… encore et toujours une mauvaise idée chez le chat.
Le taux de protéines dans le régime alimentaire est un premier sujet de controverse. Chez l’homme, on a démontré que les précurseurs acides générés par la consommation de protéines augmentaient le taux de calcium dans les urines (la calciurie). C’est peut-être aussi le cas pour le chat. Toutefois, un des nombreux bénéfices des protéines est aussi d’augmenter le volume des urines émises. Cela a pour effet de diluer aussi bien le calcium que les oxalates.
Pourtant les protéines, surtout les protéines collagéniques (riches en hydroxyproline), ont longtemps été considérées comme étant aussi précurseurs d’oxalates. D’où les anciennes recommandations (encore en vigueur) de donner des aliments hypoprotéiques destinés aux insuffisants rénaux pour limiter les récidives de calcul d’oxalates.
Mais les aliments hypoprotéiques sont aussi riches en glucides. Ils maintiennent la glycémie élevée pendant de longues heures après un repas. Ils seraient donc potentiellement générateurs d’oxalates ! Qui plus est, ces aliments sont pauvres en phosphore, et augmentent la synthèse de Vitamine D3, qui favorise l’absorption intestinale du calcium et le taux de calcium dans les urines.
Finalement, des croquettes bien pourvues en protéines de qualité seront moins diabètogènes et de ce fait plus préventives à l’égard des oxalates. A condition que votre chat boive suffisamment d’eau.
Si l’eau est disponible… certaines mesures préventives sont efficaces (4).
Et qu’est ce qui oblige à boire davantage ? Le sel.
Certains fabricants ont pris le parti d’augmenter fortement le sodium dans leurs aliments (Royal Canin, Purina et Specific). Et l’impact de la quantité de sodium sur la prise de boisson est indéniable. Par contre, l’effet sur la dilution urinaire est moins évident. De plus, là encore, le sodium est considéré comme un facteur de risque des urolithiases calciques chez l’homme. En effet, cela favoriserait la calciurie. Chez le chat, ce phénomène est compensé par la dilution des urines, du moins tant que l’eau est disponible. L’ingestion de sodium ne serait finalement donc ni un facteur de risque ni une mesure préventive efficace des oxalates de calcium.
Alors qu’est que doit manger votre chat ? De l’eau.
La solution… noyer les oxalates dans un déluge d’eau.
L’eau est un acteur central des mesures de prévention des calculs d’oxalate de calcium. De par ses origines et ses adaptations physiologiques au climat désertique, le chat souffre davantage des conséquences d’un abreuvement insuffisant en comparaison des autres espèces animales (http://dietetichat.info/le-e-une-histoire-deau/).
L’abreuvement permet la dilution urinaire et augmente la fréquence des mictions, deux facteurs déstabilisants pour les doués en calculs. La dilution des urines s’oppose à la sursaturation en minéraux. Or, l’agrégation des cristaux ne peut avoir lieu que dans des urines saturées. En outre, l’augmentation de la production des urines accroit la fréquence des mictions. Le temps de stagnation des urines diminue, réduisant les risques d’infection bactérienne parfois à l’origine de la formation du noyau de départ sur lequel cristallise le calcul (comme le corps étranger introduit dans l’huître pour la fabrication de perle).
Comme nous l’avons évoqué dans un précédent article, l’eau la plus « efficace » est celle qui est contenue dans les aliments. C’est pourquoi, le recours même partiel à des aliments humides est primordial. Certains auteurs préconisent même de diminuer la densité urinaire jusqu’à une valeur de 1,030 pour traiter les urolithiases. Or ce résultat ne peut s’obtenir qu’avec une alimentation 100 % humide.
La prévention la plus simple.
Finalement, la prévention de cette maladie nutritionnelle est peut-être plus évidente qu’il y parait. Ainsi, par ordre croissant d’efficacité, je classerai les mesures préventives de la façon suivante:
– La bi-nutrition (http://dietetichat.info/la-bi-nutrition-du-neuf-avec-du-vieux/), qui permet d’augmenter l’eau bue et de diminuer les quantités journalières de glucides ingérés. Il est intéressant d’additionner un peu d’eau aux deux repas humides. Les pâtées doivent contenir moins de 10 % de glucides pour un effet qualitatif optimal. Et surtout, il ne faut pas ne pas dépasser 35 g de croquettes (hyperglycémiantes, et potentiellement diabétogènes) par jour, pour un chat de taille moyenne.
– La nutrition hybride (http://dietetichat.info/si-votre-chat-passait-hybride/), qui amène davantage de protéines d’excellente qualité et toujours plus d’eau. Même en surpoids, votre chat aura une glycémie mieux contrôlée (le nouveau facteur déterminant de la survenue d’oxalates). Après 7 ans, un mix pâtée / viande avec au maximum une cuillère à café de croquettes par jour (pour les accros).
– Après 10 ans, on oublie définitivement les croquettes. Il faut aussi éviter les aliments humides hypoprotéiques, comme c’est parfois le cas pour certains aliments formulés a l’attention des chats âgés .
Une fois de plus, l’absence de prise en compte des spécificités du régime hypercarnivore des chats semble à l’origine de cette maladie nutritionnelle que sont les calculs à oxalate de calcium. On ne peut pas réellement parler de mystification de la part des industriels car la pathogénie des oxalates de calcium est longtemps restée une énigme.
Il faut s’attendre à ce que les études épidémiologiques démontrent que les calculs d’oxalate de calcium sont une nouvelle maladie de croquettes. La fabrication d’oxalate de calcium est associée aux conditions qui favorisent aussi la survenue du diabète chez le chat: un régime alimentaire trop riche en glucides et carencé en protéines. Les croquettes « modernes », plus techniques, incorporent de plus en plus de glucides dits complexes, ce qui limite leur index glycémique. Et à défaut d’autre chose, ce sont celles qu’il faut privilégier pour votre chat. Mais en aucun cas, elles ne doivent constituer son alimentation exclusive.
Dessin Philippe Bernard.
Références:
(1) ZENTEK J et SCULZ A . Urinary composition of cats is affected by the source of dietary protein. J Nutr (2004).
(2) DLIKER J.C. et al. Influence of nutrition on feline calcium oxalate urolitiasis with emphasis on endogenous oxalate synthesis. Nut Research Review (2011)
(3) LANGE J. and Al. Glyoxal formation and its role in endogenous oxalate synthesis. Advances in Urology (2012).
(4) THEMELIN Maël. Sodium, protéine, abreuvement: facteurs de risque ou prévention des urolithisases chez le chat. Thèse E.N.V.A. (2007)