Pourquoi votre chat ne sera jamais veggy

Les régimes végétariens pour les chats ne se sont rien d’autres qu’un cas avéré de mauvais traitement animal.

Dessin de Philippe Bernard.

« Les tentatives récentes de végétariens bien intentionnés pour convertir leur chat à un régime sans viande sont navrantes et cruelles (…) elles ne se sont rien d’autres qu’un cas avéré de mauvais traitement animal, et devraient être traitées comme tel ».

C’est l’avis tranché sur la question de Desmond Norris, spécialiste réputé en comportement animal. Déjà, avec le régime poisson (article précédent), nous abordions une alimentation moins « naturelle » destinée aux chats. Mais avec le végétarisme, nous basculons dans le « contre-nature ».

Une conviction éthique éloignée des préoccupations du chat.

Le véganisme va au delà de l’alimentation. C’est une philosophie et façon de vivre qui cherche à exclure – autant que faire se peut – toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s’habiller, ou pour tout autre but. Ce qui n’est pas le cas des chats.

Moins bien « domestiqué » que le chien, le chat continue à avoir une certaine prédilection pour la chasse. Et à le voir chasser, on ne peut pas nier son penchant naturel à une certaine cruauté.  C’est indéniable, vous vivez avec un prédateur qui s’assume, lui. Même dans l’univers clos de votre appartement, il soignera sa neurasthénie avec quelques mouches ou papillons de passage (https://www.youtube.com/watch?v=-ILWEuOmROI). Mais prévoyants, vous avez pris soins de ne pas l’exposer à la tentation, en installant des moustiquaires. Notre sauvageon devra alors trouver de nouveaux souffre-douleur pour passer ses nerfs. Pourquoi pas la banane, le fruit que détestent les chats ! Cela fera un bon « punching-ball » (https://www.youtube.com/watch?v=AW-Ig3sGQHY)). Une telle détermination à faire souffrir un fruit en dit long sur son manque de conviction… végane.

Le chat a des exigences vestimentaires strictes.

Ce qui nous séduit chez le chat, ce qui contribue à sa beauté et à notre plaisir de le caresser, c’est son pelage. En toute logique, le chat converti au véganisme devrait renoncer à son manteau de fourrure. Mais en retournant sa veste, il risque aussi de la perdre à jamais. Et l’adoption du « végétalisme intégral » l’expose aux risques du bronzage intégral.

En effet, le chat dépense un tiers de son budget protéines quotidien à la confection de sa robe. Pas question pour lui de céder à la mode des fibres végétales, car ses poils sont constitués à 86 % de protéines. Il faut qu’il trouve dans son alimentation tous les acides aminés indispensables à la synthèse de ses poils, sans possibilité d’avoir recours aux compléments alimentaires pro-cheveux, peau et ongles de sa maîtresse, riches en… cystéine.

La cystéine est un acide aminé soufré, et c’est le principal élément constitutif des poils. Un régime végétarien mal équilibré peut exposer le chat à une carence globale en protéines, ou isolément en AA soufrés. Dans ce cas, le pelage devient terne et les poils cassants. De plus, sa coloration aussi risque de passer. Car la cystéine est le précurseur de la phéomélanine, le pigment roux orangé de certains chats. De même que pour obtenir la couleur « noir jais », il lui faudra suffisamment de tyrosine et de phénylalanine, précurseurs de la mélanine. En cas de carence, sa couleur noire prend des reflets roux.

Toutefois, ce besoin en AA soufrés est commun à tous les poilus. Comme les moutons, qui assurent la production de pull-overs pour la planète entière, et qui ne mangent que de l’herbe. D’accord, mais le chat a aussi des exigences du fait de son métabolisme très particulier.

Un métabolisme unique tournant à plein régime.

Comme nous l’avons déjà évoqué, les besoins en protéines du chat sont considérables pour assurer la néoglycogénèse (http://dietetichat.info/le-regime-carnivore-des-chats/). Les protéines sont « brûlées » pour produire du glucose, le carburant indispensable aux cellules. Et notamment les cellules du cerveau, qui ne tolèrent aucun ralentissement de cadence, même en période de jeûn. Or, le chat aurait un cerveau relativement plus important que les autres mammifères. C’est une des explications récentes de l’impossibilité du chat à stopper son catabolisme protéique (1).

Ce sont les AA soufrés qui sont au centre de ce métabolisme particulier. Précisément, c’est la méthionine qui est l’AA le plus limitant. C’est  le point de départ de la néoglycogénèse et elle participe à une soixantaine de réactions métaboliques (2). Notamment, c’est un précurseur de la cystéine, de la taurine et de la félinine. La félinine est la phéromone indispensable au marquage urinaire.

Enfin, dans son habitat naturel, le chat mangeait beaucoup de matières grasses. Un rat est composé de 40 % de MG, plus que la viande de mouton. Et bien là encore, ce sont les AA soufrés qui orchestrent le métabolisme lipidique. La moindre carence perturbe l’utilisation des graisses, qui peuvent alors engorger le foie. S’installe alors une stéatose, ou lipidose hépatique. En définitive, il s’avère que la lipidose hépatique du chat est favorisée par une alimentation chroniquement carencées en AA soufrés (méthionine, cystéine), en taurine, en arginine et en vitamines du groupe B liées à ce métabolisme unique du chat (B12, choline, folate et pyridoxine), (2).

Le chat est «à-croc» à la taurine.

La fameuse taurine ! Son nom vient du latin taurus (taureau). Donc a priori, c’est davantage en rapport avec le steak qu’avec le tofu. En effet, on ne trouve la taurine que dans le règne animal.

Je me souviens d’une famille laotienne récemment conquise par le goût des chats. Ils en adoptèrent jusqu’à sept. Mais les chatons restaient chétifs, et des morts inexpliquées sont survenues. Très jeunes, les chats devenaient aveugles. Leurs maîtres étant boudhistes, il leur était inconcevable de faire entrer chez eux le moindre produit d’origine animale. Les chats ne mangeaient donc que des produits végétaux, comme le chien d’ailleurs! A la différence près que le chien était en parfaite santé. Les chats ont tous été victimes de cette carence en taurine.

La taurine est aussi un dérivé d’AA soufré. Le chat ne peut pas en synthétiser suffisamment. Or la taurine est indispensable au bon fonctionnement de l’oeil et du coeur du chat, comme pour les autres espèces animales. L’implication de la taurine dans la dégénérescence rétinienne des chats a été formellement identifiée à la fin des année 80. Et par la suite, d’autres maladies associées à la carence en taurine ont été recensées, comme la cardiomyopathie dilatée.

Les principales sources alimentaires de taurine sont les tissus animaux. Et surtout ceux qui sont électriquement excitables, le cerveau, la rétine et le coeur.

Des risques accrus de calculs urinaires.

Les chats nourris avec des régimes végétariens sont plus que les autres exposés aux problèmes urinaires. Les déchets azotés générés par les protéines contribuent à la formation d’urines acides chez les carnivores. A l’opposé, les régimes végétariens sont plutôt fournisseurs de précurseurs alcalins, et exposent le chat à une charge alcaline chronique. La « vague alcaline ». Les urines plus alcalines favorisent la cristallisation de certains sels. C’est notamment le cas des cristaux de struvite que l’on a déjà évoqués (http://dietetichat.info/le-e-une-histoire-deau/). En particulier, ce sont les chats mâles les plus à risque.

La surveillance du pH urinaire avec des bandelettes est donc conseillée pour les chats véganes. Pour acidifier les urines, on pourra avoir recours à certaines espèces végétales réputées acidifiantes: les pois, le riz brun, l’avoine, les lentilles, le maïs, les choux de Bruxelles. Mais le plus simple, c’est la vitamine C, à la dose de 50-80 mg / kg.

Le végétarisme… une cuisine très (al)chimique.

Finalement, ce n’est pas tant l’insuffisance supposée en protéines dans l’alimentation végétale qui pose problème, mais plutôt son profil en AA indispensables. Les protéines présentes dans les végétaux ne sont pas les mêmes que dans les produits animaux. Et le groupe des AA soufrés, cystéine et méthionine, doit faire l’objet d’une attention particulière. C’est souvent le facteur limitant des légumineuses, qui seront recalées au premier tour. Les céréales en contiennent davantage, mais risquent d’alcaliniser les urines des chats.

Alors, pour confectionner un menu sans viande à votre chat, il va falloir recourir à des combinaisons sophistiquées de végétaux. Seul le tofu (soja) est complet, excepté pour la taurine, les minéraux et les vitamines. Ainsi, il sera toujours indispensable d’équilibrer ces régimes végétariens avec une poudre de perlimpinpin (disponible sur internet). C’est un supplément nutritionnel qui garantit des apports suffisants en acide arachidonique, niacine, cobalamine (B12), pyridoxine, vitamine A et D, taurine, arginine, methionine, lysine… une cuisine à la Prévert ! Beaucoup de produits synthétiques (made in china) et quelques ingrédients naturels pas toujours justifiés (huile de bourrache, par exemple).

Les régimes végétariens peuvent être sûrs pour les chats.

Comme en témoigne le nombre croissant de solutions commerciales disponibles, le véganisme a le vent en poupe. Ce sont les aliments industriels qui comptent le plus de « fidèles »,  la cuisine-maison étant plus complexe à réaliser. Par ailleurs, ces aliments végétariens sont souvent concus par des « experts » nutritionnistes, comme Royal Canin ou Purina. Ces derniers garantissent que leurs formulations végétariennes sont complètes et équilibrées. Elles respectent scrupuleusement les normes (minimalistes) imposées par la F.E.D.I.A.F.. La conformité de leurs produits est primordiale pour eux. No comment !

Entre les intentions louables et les faits, il y a une marge d’erreur qui ne pardonne pas pour la santé de votre chat. Bizarrement, peu de fabricants fournissent le détail d’analyses effectuées par des laboratoires indépendants, quant à la composition nutritionnelle de leurs aliments. Il n’y sont pas obligés. Mais récemment encore, plusieurs études récentes pointent certaines carences. Elles ne concernent pas tous les aliments végétariens, mais une part non négligeable (25 %). Les carences portaient essentiellement sur les protéines et les AA indispensables, mais aussi sur les apports énergétiques (calories), le potassium, … (3).

Alors, si j’étais un chat, je ne leur ferais pas une confiance aveugle… comme ces milliers de chats victimes de cécité dans les années 80, des suites d’une carence en taurine dans les aliments industriels.

Le chat est «à-croc» à la taurine. On ne la trouve que dans le règne animal.

Carence en taurine: « J’aurais pas dû abuser de ces soi-disants steaks végétariens » (dessin Philippe Bernard)

Donc, en théorie, il n’y a aucune raison pour qu’un régime entièrement composé de végétaux, de minéraux et d’ingrédients synthétiques pour l’équilibrer, ne puisse convenir au chat. Et cela, tant du point de vue de l’appétence, de la biodisponibilité des nutriments que du respect des recommandations nutritionnelles. Mais souvenons-nous simplement qu’à vouloir contrarier les desseins de  « mère-nature », on s’expose souvent à des accidents.

Références:

(1) Russell, K.; Lobley G.E.; Millward, D.J. Whole-body protein turnover of a carnivore, Felis silvestris catus. Br. J. Nutr. 2003..

(2) Verbrugghe A. et Bakovic M. Peculiarities of One-Carbon metabolism in the strict carnivorous cat and the role in feline hepatic lipidosis. Nutrients 2013.

(3) Kanakubo and al. Assessment of protein and amino acid concentration and labeling adequacy of commercial vegetarian diets formulated for dogs and cats. JAVMA 2015.