Les chats doivent manger des protéines animales. C’est la signification de « P.A. » dans le sigle g.u.E.P.A.R.D. C’est une notion intuitive, relayée par le plus grand nombre, et utilisée comme argument de vente par certains fabricants d’aliments industriels pour chat. Pourtant, les preuves scientifiques tangibles ne sont pas si nombreuses que ça. Cette lacune autorise les zélateurs et théoriciens du végétarisme de remettre cause la supériorité des protéines animales pour l’homme, et maintenant pour les chats.
La valeur biologique des protéines… un critère qualitatif dépassé.
Cette notion de « valeur biologique » permet de hiérarchiser les protéines. La protéine de l’oeuf est considérée comme la référence parfaite. On lui a donné la valeur 100. Evidemment, l’étalon « souris » n’existe pas, alors qu’il serait bien plus pertinent pour le sujet qui nous intéresse, le chat. Ainsi, la réédition de 2015 de l’ « Alimentation du chat » du professeur Wolter reprend les valeurs datant de 1992. Le muscle de boeuf se voit attribuer 75, la caséine (du lait) obtient 69, les protéines de soja cuit 75, de blé entier 67 et de pois 48. Protéines végétales et animales sont presque à égalité. Mais sur quoi sont fondés ces chiffres ?
Comme nous l’avons évoqué auparavant, les protéines sont de longues chaînes constituées de particules élémentaires, les acides aminés (AA). On dénombre une vingtaine d’AA différents. Lors de la fabrication des protéines, ces AA s’agencent selon une séquence stricte et ordonnée. Cette succession linéaire constitue la structure primaire d’une protéine et est programmée par le code génétique propre à chaque espèce animale. Lors du processus de digestion, les enzymes digestives déconstruisent ces chaînes, libérant les AA qui pourront alors franchir la barrière intestinale.
Considérée sous cet angle, une protéine est une somme de nutriments plus petits, les acides aminés. La liste détaillée et exprimée en pourcentage pour chaque acide aminé constitue l’aminogramme. Cette notion est familière aux body-builders se nourrissant de potions alchimiques pour prendre du muscle. Ainsi, certaines protéines ont un meilleur profil que d’autres.
Les défauts éliminatoires des protéines.
Après une analyse détaillée, certaines protéines (ou famille de protéines) se révèlent déficitaires pour un ou plusieurs AA qui les composent. Dans ce cas de figure, on dit que cette protéine est incomplète. Cela n’est pas trop grave, sauf quand cette absence concerne un des douze AA indispensables au chat. Si le chat ne les trouve pas impérativement dans son alimentation, c’est tout son métabolisme qui s’en ressent. Certaines voies métaboliques sont ralenties ou stoppées. Ainsi, un chat privé d’arginine peut mourir, intoxiqué par l’ammoniac qu’il ne plus éliminer. Heureusement, ces conditions se rencontrent rarement.
Le facteur limitant d’une protéine détermine son indice chimique. Lors de déficit(s), la protéine a une moins bonne valeur, et sa note s’en ressent. C’est justifié, car si un des 20 AA manque à l’appel, il handicape le « rendement » alimentaire de toute l’équipe.
Finalement, le profil idéal d’une protéine destinée au chat doit d’apporter beaucoup d’arginine, d’AA soufrés (méthionine et cystéine), et de taurine. En conséquence, les protéines animales issues de la viande, des produits carnés (abats), du poisson, et accessoirement du lait et des oeufs (dans l’industrie) sont les choix qui s’imposent logiquement. Qu’en est-il des protéines végétales ?
Les protéines végétales sont incomplètes…
Les protéines végétales n’ont pas les mêmes caractéristiques que les protéines animales. Ainsi, la plupart des céréales sont déficitaires en lysine. Par contre, les légumineuses sont bien pourvues en lysine, mais manquent d’AA soufrés. Mathématiquement (mais pas nutritionnellement), la consommation simultanée des deux permettrait de rééquilibrer la balance pour ces AA indispensables. Mais il n’empêche que la taurine reste la grande absente du monde végétal. C’est le facteur limitant de toutes les protéines végétales. Pour cette raison, le recours aux protéines végétales impose la complémentation en taurine de synthèse (made in China) pour équilibrer les aliments industriels, ou les rations ménagères. Ce défaut majeur est une première raison de les écarter de l’alimentation du chat.
Cependant, les nutritionnistes (industriels) estiment que les protéines végétales peuvent participer à la fourniture d’AA digestibles. Il est probable que beaucoup seront digérés. Mais seront-ils utilisés par le chat ? Autrement dit, ont-ils un effet positif sur la santé du chat ? Rien n’est moins sûr. Certains AA peuvent être recyclés utilement, mais un grand nombre de ces AA ne correspondent pas aux besoins spécifiques du chat. Ces derniers seront décomposés, détoxifiés par le foie et éliminés dans les urines. In fine, les protéines végétales sont probablement responsables d’un gaspillage azoté obligatoire important.
C’est pourquoi, les aliments pour chats insuffisants rénaux devraient bannir les protéines végétales de leur composition, même si c’est un moyen de diminuer le phosphore en excès dans la viande. Aucune étude ne prouve mes propos, car les articles scientifiques s’arrêtent essentiellement à l’étage digestif (l’étude de la digestibilité apparente). Il y a bien des tentatives d’aller plus loin, en soumettant les chats à des bilans sanguins exhaustifs, mais ils sont impossibles à interpréter.
Les bienfaits des légumineuses… ce n’est pas pour les chats.
On nous vante les mille bienfaits des légumineuses. Mais soyons clair, si les légumineuses contiennent davantage de protéines que les céréales, ce qui les rend attractives, c’est surtout leur contenu glucidique, leurs amidons. Et cela ne concerne en aucun cas la santé du chat, qui n’a pas besoin de glucides.
Ainsi, les légumineuses sont riches en fibres, en vitamines, en minéraux, et contiennent de l’amidon à digestion lente, qui limite l’augmentation du sucre dans le sang. De ce fait, la consommation régulière de légumineuses contribuerait à un meilleur contrôle du poids et de l’équilibre glycémique des personnes atteintes ou prédisposées au diabète de type 2. Ces arguments ont été repris par les nutritionnistes de l’industrie du petfood, pour mettre au point des aliments pour chats obèses ou diabétiques. Seulement tout ceci est de l’anthropomorphisme scientifique. En pratique, c’est inefficace, et probablement anti-nutritionnel. Ce qui est bon pour l’homme (et le rat de laboratoire) ne l’est pas forcément pour le chat.
D’ailleurs, traditionnellement chez l’homme, les légumineuses associées aux céréales participaient aux apports en protéines des populations dont le régime de base était pauvre en viande. Et bien, c’est précisément le cas avec la majorité des croquettes pour chats ! Les protéines végétales participent au « lifting » d’aliments formulés sur la base de recommandations nutritionnelles, qui exposent les chats à des carences en protéines. Ces formulations hasardeuses font probablement courir des risques aux chats. Aussi, on peut s’interroger sur cet anthropomorphisme en apparence bien intentionné. N’a-t-il pas des justifications plus obscures ?
Les protéines végétales ne sont pas chères.
La mode des protéines végétales s’impose comme une alternative écologique. En diminuant le recours aux protéines animales, on diminue le nombre d’élevages d’animaux destinés la consommation humaine. Ceci a un impact positif sur l’environnement, car les élevages intensifs sont générateurs de déchets polluants. Mais paradoxalement, l’élevage est aussi un débouché important pour les protéines végétales. Car les herbivores les valorisent bien mieux que les chats. Ainsi, ce qui donne du muscle aux animaux des élevages français, ce sont les tourteaux de soja, de colza ou de tournesol, des graines à très forte teneur en protéines. Par contre, cette couverture des besoins en protéines des animaux d’élevage nous rend très dépendant des importations en provenance des USA, du Brésil et de l’Argentine. Au final cela augmente encore le bilan carbone des productions animales.
Mais que se passera-t-il si un jour, une mauvaise récolte venait interrompre ces importations ? Ou encore, si l’appétit de pays émergents, la Chine en particulier, rendait plus cher et plus instable cet afflux de soja ? Royal Canin et ses alter ego supprimeront tout net le soja dans leurs formulations pour chat. Car si les protéines végétales sont très abondantes dans les aliments secs pour les chats, c’est uniquement parce qu’elles coûtent moins cher. « Les fabricants d’aliments font leur marge avec l’eau pour les boites, et avec les céréales ( et le soja) pour les croquettes ». A une différence près, l’eau est un nutriment utile, ce qui n’est pas le cas des protéines végétales. La nutrition doit rester le lieu de rencontre entre les aliments et le tube digestif, avec en point de mire un chat en bonne santé. Et il n’y a pas de place pour les considérations mercantiles.
Mi-temps: 1-0 pour les protéines animales.
Pour résumer:
- Les aliments d’origine animale sont riches en protéines. Leurs protéines fournissent majoritairement des AA indispensables, répartis de façon équilibrée et proche des besoins du chat.
- Les aliments d’origine végétale ont des teneurs protéiques variables. Leurs protéines sont riches en AA non indispensables et déficientes en certains acides aminés indispensables pour le chat.
Dans notre match « nutritionnel », les protéines animales prennent donc un sérieux ascendant sur leurs rivales. Mais ma démonstration ne s’arrête pas là. Dans le prochain article, je vous entraînerais dans les méandres de concepts scientifiques de très haut vol: la biodisponibilité des protéines, la notion de protéines « lentes » et « rapides », et le concept de synergie alimentaire. Attachez-vous !