Controverse en nutrition féline: les glucides (2)

Parmi les idées fausses les plus communes, il y a la croyance selon laquelle l’excès de glucides dans les aliments industriels est responsable de l’obésité des chats (Dr D Laflamme) 1-2 .

Vrai ou faux, c’est en tout cas un point de controverse crucial, qui plaiderait contre le modèle « tout croquettes » pour l’alimentation des chats. Dans cet article, je tente de répondre le plus objectivement possible à cette question. Là où les experts assènent des certitudes, je tente de démontrer qu’il est légitime de douter de leurs arguments scientifiques.

Le régime carnivore strict du chat serait flexible…

Les proies des chats sauvages se composent majoritairement de protéines. Elles représentent 52 à 63 % des calories journalières ingérées, pour seulement 3 % de glucides. Le chat domestique peut très bien vivre avec un régime zéro glucide (proche de son régime ancestral), car le glucose n’est pas pour lui un nutriment essentiel. Il le fabrique à partir des protéines et des graisses alimentaires (néoglucogenèse).

A l’inverse, le chat pourrait aussi s’accommoder de croquettes « premier prix » composées de 60 % de glucides, et ceci sans risque pour sa santé. Pour cela, les apports protéiques doivent se situer au dessus du minimum vital, défini par la NRC, à savoir 1,5 g de protéines par kg de poids pour un chat adulte3. Dans ces conditions, le métabolisme s’adapte à des niveaux restreints de protéines, en brûlant moins de protéines pour la fabrication du glucose.

En fait, l’étude qui établit cela démontre uniquement que pendant la durée limitée de l’expérimentation (5 jours), les chats soumis à un déficit temporaire en protéines (comme cela peut se produire dans la nature), et à condition que tous les acides aminés indispensables soient présents en quantité largement suffisante, n’ont présenté aucune modification de leur état de santé. Et tant mieux, car cette flexibilité métabolique constitue un mécanisme de secours destiné à pallier aux aléas alimentaires. Mais, aucune étude à long terme ne démontre l’absence d’impact négatif de régimes aussi pauvres en protéines.

Le chat préfèrerait même les glucides…

Les vrais besoins en protéines des chatLa principale faiblesse de l’édifice théorique de l’alimentation du chat réside dans la détermination précise de ses besoins en protéines (http://dietetichat.info/normes-nutritionnelles-chat/). En effet, il désormais admis (par l’auteure aussi) que l’estimation du minimum protéique de 1,5 g / kg de poids (la norme NRC) est erronée. Le besoin protéique est au moins 3 fois supérieur, soit 5 à 7 g de protéines / kg de poids, ou encore 35-50 % des apports caloriques journaliers. Ce niveau d’apport permet le renouvellement régulier des protéines constitutives des tissus organiques (turn-over), la production d’anticorps (dérivés protidiques) et le maintien de la masse musculaire. Enfin, le fait de disposer d’un pool suffisant d’acides aminés libres permet une adaptation métabolique rapide pour faire face à des changements nutritionnels ou physiopathologiques (maladie, vieillissement). Et l’espérance de vie en bonne santé n’en sera que plus longue pour ces chats.

A l’état naturel, le chat est capable d’équilibrer instinctivement et précisément son régime, lorsque les ressources alimentaires sont suffisantes. Ainsi, le chat disposerait d’un « compteur à protéines » qui l’amène à consommer une quantité cible de protéines qui correspond à 50 % de ses calories journalières, 52% pour être précis4. Autrement dit, lorsqu’il dispose d’un buffet à volonté, le chat tentera d’assouvir en priorité son besoin protéique avant son besoin calorique. Cette cible protéique est une des plus élevée du monde animal. Elle n’est que de 25 à 35 % pour les chiens et seulement 15 % pour l’homme. Ceci est le fruit du travail de deux chercheurs australiens, qui ont prouvé que tous les animaux, de la sauterelle au kangourou, s’arrêtent de manger quand leur besoin en protéines est satisfait5.

Mais à l’inverse, qu’observe-t-on quand la nature est moins généreuse, et que l’environnement alimentaire propose trop peu de protéines ? Et bien l’animal continue de manger toujours davantage pour se rapprocher sa cible protéique, quitte à devenir obèse. Cette règle est générale dans les conditions naturelles. Et lorsque l’environnement alimentaire d’une espèce animale change de manière définitive, de façon trop brusque ou trop extrême, cela expose à une extinction de l’espèce dans certains cas, à des crises sanitaires dans les cas les plus favorables (maladies chroniques, morts prématurées…). C’est ce que nous constatons avec l’épidémie de chats obèses nourris avec les croquettes. Les croquettes pour chats sont composées en moyenne de 36 % de protéines, soit moins de 32 % des calories d’origine protéique 2. C’est très loin de leur cible protéique de 50 %. Et finalement, le principal facteur de risque d’obésité des chats serait la carence relative en protéines, et pas l’excès de glucides.

Comment expliquer que les chats apprécient, voire préfèrent, cette alimentation artificielle riche en glucides à laquelle leur organisme est mal adapté ? C’est un fait, comme le prouve cette expérience menée par le fabricant Hill’s. Une vingtaine de chats se sont vus proposer quatre formulations différentes de croquettes qui contenaient entre 35 et 52 % de glucides. Résultat: les chats n’ont pas unanimement préféré la formulation la plus protéique, mais parfois même la plus glucidique ! Cette étude ne remet pas en cause la préférence des chats pour les protéines, mais fait seulement la démonstration qu’il est possible de duper l’instinct d’un l’animal lorsqu’on lui offre un aliment ultra-transformé. Je vous rappelle qu’il est admis que les chats sont « aveugles » pour le goût sucré. Une des explications est que lorsque la densité calorique d’un aliment est très éloignée de celle de l’alimentation naturelle, les mécanismes de régulation de l’appétit sont inefficaces (400 kcal / 100 g de croquettes versus 125 kcal / 100 g de souris). Personnellement, si on me donnait le choix entre des chips de pommes de terre et des chips protéinées ( à base de soja), il est probable que ma préférence ira vers les premières, pourtant moins « saines ».

Les spécificités métaboliques des chats pour les glucides

Les aliments industriels permettent donc de faire avaler aux chats des quantités importantes de glucides, que les divers traitements technologiques ont rendus parfaitement assimilables (hyperdigestibles) au niveau intestinal (http://dietetichat.info/mythes-controverses-nutrition-feline-1/). Mais au-delà de la barrière digestive se trouve une boite noire qui n’a pas livré tous ses secrets, à savoir le devenir digestif des glucides et leur effet santé chez le chat. Et pourtant, c’est là que se trouve la clé du problème.

Dans le paragraphe « What is the impact of dietary carbohydrates on blood glucose in cats  » de l’article du Dr Laflamme 2, elle fait état des données scientifiques discordantes sur le sujet, du fait de modalités expérimentales complexes et peu reproductibles. Mais plutôt que d’essayer de clarifier les choses, elle donne l’impression de disqualifier préventivement la théorie rivale avec des arguments douteux. Autrement dit, elle nous enfume ! De façon dogmatique, elle justifie que les régimes riches en glucides n’ont pas d’impact négatif pour le chat, car ils ne génèrent pas d’hyperglycémie grave. Pas d’hyperglycémie, donc pas d’effet néfaste sur les cellules du pancréas, et pas de diabète. Et encore moins de lien avec l’obésité. C’est un un peu léger !

Les études les plus récentes utilisent des capteurs cutanés pour mesurer la glycémie des chats, ce qui a l’avantage de limiter le nombre de prises de sang, et les résultats erronés liés au stress (phénomène bien connu chez le chat). Une d’entre elles a permis de préciser ce qui se passe pour des chats en bonne santé et présentant un indice corporel normal 6. Cette étude apporte plusieurs éclairages sur le métabolisme des glucides chez le chat. En premier lieu, il est vrai que le chat utilise davantage de glucose lorsqu’il y a davantage de glucides dans sa ration. Ensuite, en présence de taux de glucides moyens (jusqu’à 36 % de la MS dans cette étude), l’élévation de la glycémie reste minime (0,15 g / L maximum). Par contre, celle-ci peut persister jusqu’à 24 heures (moins de 3 heures pour l’homme ou le chien). Il en est de même pour l’insulinémie.

Cette étude égratigne au passage certaines croyances nutritionnelles, aux conséquences intéressantes pour la gestion alimentaires des chats obèses ou diabétiques. Ainsi, la réponse glycémique selon l’origine des amidons (céréales, légumineuses, patates…) n’est pas modifiée. Alors que chez l’homme, on a tenté de classer ces amidons par leur index glycémique (riz > maïs > orge), on n’observe pas cela chez le chat. Et la présumée supériorité des glucides dits complexes pour le chat (légumineuses, céréales complètes…) est donc sans fondement. C’est pareil pour les fibres alimentaires qui semblent n’avoir aucune influence sur la réponse glycémique. Finalement, les variations de glycémie ont été moindres avec les croquettes modérées en glucides (moins de 30 %) et riches en matières grasses (plus de 20 %).

Aucun glucide ne se perd…

Suivons plus en détail le périple des molécules de glucose fraîchement déversées dans le torrent sanguin. Chez la plupart des mammifères monogastriques, les options sont les mêmes. D’abord, une partie du glucose file directement au cerveau qui est prioritaire. La seconde priorité est de produire de l’énergie directement utilisable. Le glucose subit alors une combustion complète qui libère des molécules énergétiques, c’est la glycolyse. Et s’il reste encore beaucoup de glucose, l’excédent est stocké sous forme de glycogène, c’est la glycogénogenèse.

Chez le chat, la glycolyse est peu performante et les réserves de glycogène sont très limitées. Ainsi, en toute logique, le glucose devrait s’accumuler dans le sang, provoquant une hyperglycémie. Or la glycémie des chats augmente faiblement dans les heures qui suivent un repas (0,15 g de glucose / l). La question est donc: où va tout ce glucose non utilisé ? Et bien, il est tout bonnement converti en acides gras (lipogenèse).

Le sucre qui se transforme en graisses, c’est bien connu ! Chez l’homme, ce mécanisme est normalement responsable de 3% du stock de graisses, le reste provenant directement des acides gras alimentaires. C’est beaucoup plus lorsque son régime est riche en sucre et en fructose. Chez les carnivores, il est probable que cet itinéraire de délestage du glucose soit très vite activé après un repas riche en glucides.

Les glucides: responsables mais pas seuls coupables

Reprenons le cas de notre chat d’intérieur, peu actif, et subissant toute la journée la tentation de son bol de croquettes généreusement rempli. Laborieusement, il tente d’atteindre son quota de protéines journalier. En contrepartie, il satisfait très rapidement son besoin calorique (parfois même en un seul repas). Le glucose s’accumule dans le sang. En réponse, l’insuline amplifie les voies d’utilisation du glucose, que sont la glycolyse et glycogénogénèse. Ces voies métaboliques saturent… et la lipogenèse prend le relais.

Sans limitation des calories qu’il ingère (glucides, protéines ou lipides), notre chat n’a jamais l’occasion de mobiliser ses graisses de réserve. Sa masse graisseuse augmente. Or, chaque kg de poids additionnel réduit l’efficacité de l’insuline de 30 % en moyenne chez le chat. On parle d’insulinorésistance. En réponse, le pancréas accroît son travail pour produire davantage d’insuline (hyperinsulinisme). Le processus de lipogénèse a tendance à s’emballer sous l’effet de l’insuline: plus d’obésité, plus d’insulinorésitance, plus d’insuline produite, plus d’obésité… et diabète, parfois !

En pratique:

– Tant que votre chat est mince et qu’il ne consomme pas davantage que ses besoins caloriques, il peut supporter des taux de glucides allant jusque 40 % des calories ingérées, sans que sa glycémie ne s’en ressente. Toutefois, il est possible qu’une fraction de ces glucides se transforme déjà en graisse au détriment de sa masse maigre. De plus, une insuffisance chronique en protéines risque d’entraver le bon renouvellement de ses protéines organiques, et sa santé à long terme.

– Si votre chat n’est pas en mesure de satisfaire son besoin protéique de 50 % des calories d’origine protéiques, et si par ailleurs il a la possibilité de manger à sa faim, il consommera plus de calories que nécessaire pour lui. C’est le cas lorsque vous laissez les croquettes en libre-service, même si votre chat semble en manger très peu. La densité énergétique élevée des croquettes ne permet pas de contrôler la satiété des chats, ce qui en fait l’aliment le plus responsable de la surconsommation calorique. Dix grammes de croquettes en trop chaque jour se soldent par 400 grammes de poids pris sur une année.

– Une fois en surpoids, la régulation de la glycémie de votre chat devient de plus en plus compliquée. Les afflux de glucides seront moins facilement gérés que lorsqu’il était mince et en bonne santé. A mesure que son obésité s’aggrave, il risque de devenir intolérant au glucose. Et si son régime alimentaire comporte durablement trop de glucides (plus de 20 % selon moi), la fabrication de graisse est favorisée.

Pour faire machine arrière et faire maigrir votre chat, une restriction calorique même sévère ne suffira pas, contrairement aux dires des diététiciens « mécanistes ». La stratégie qui consiste à diminuer le niveau des croquettes, tout en les remplaçant par des croquettes hypocaloriques (pauvres en matières grasses) est vouée à l’échec. Nombreux sont les propriétaires de chats qui l’ont observé. Pour parvenir à faire maigrir durablement votre chat, il faudra d’abord diminuer de façon drastique la quantité de glucides ingérée chaque jour. Comment ? En optant d’abord pour une alimentation mixte, avec moins de croquettes et plus de pâtées (riches en protéines). Ainsi, on peut espérer abaisser le taux de glucides journalier global sous les 20 %. Par contre, en cas d’obésité sévère, il faudra viser 10 % et de fait… oublier les croquettes.

Pour conclure:

Selon moi, la prévention de l’obésité du chat passe obligatoirement par un contrôle du taux de glucides. Les glucides journaliers ingérés ne devraient pas représenter plus de 20% des calories totales, aussi bien pour prévenir l’obésité que pour la guérir. Cela oblige à recourir en tout ou partie à des aliments humides. Les croquettes doivent être limitées en quantité car elles favorisent la surconsommation calorique de façon générale, et glucidique en particulier. C’est le conseil que je préconise pour mes patients depuis plus de 15 ans d’exercice vétérinaire réservé aux chats. Pourtant, certains chats me font parfois mentir et parviennent parfaitement à réguler leur poids malgré un régime tout croquettes en libre service, mais ils sont une minorité.

L’impact des glucides dans l’obésité des chats continuera de faire débat pendant longtemps, faute de preuves inébranlables. C’est la même chose que l’implication du cholestérol dans les maladies cardiovasculaires chez l’homme, alors que c’est le sucre le responsable. Dans cette histoire, les intérêts économiques en jeux sont déterminants pour l’industrie du Petfood. Car leur appétit pour l’argent est inconciliable avec l’appétit des chats pour les protéines. La mis au point du Dr Laflamme est toutefois remarquable. Seul bémol, elle a travaillé plus de 25 ans chez Purina !

  • 1. D. LAFLAMME et al. Evidence does not support the controversy regarding carbohydrates in feline diets – JAVMA (2022)
  • 2. D. LAFLAMME– Understanding the nutritionnal needs of healthy cats and those with Diet-Sensitive Conditions – Veterinary Clinics (2020)
  • 3. A.S. GREEN et al. Cats are able to Adapt protein oxidation to protein intake provided their requirement for dietary protein Is met. J Nutr (2008)
  • 4. A.K. HEWSON-HUGUES and al – Geometric analysis of macronutrient selection in the adult domestic cat, Felis catus – The Journal of Experimental Biology (2011)
  • 5. D. RAUBENHEIMER, S.J. SIMPSON – Pourquoi les animaux ne font pas de régime (Ed. Les arènes, 2021)
  • 6. ASARO et al – Carbohydrate level and source have minimal effects on feline energy and macronutrient metabolism – J Anim Sci (2018)

Controverse en nutrition féline (1)

Vous l’avez constaté, mon blog a hiberné longuement. Vous avez certainement mis à profit cette dormance pour déguster mon excellent livre « Pour en en finir avec les croquettes pour chats ! ». Je reviens aujourd’hui avec une première série d’articles en réaction à une publication sur la nutrition des chats, parue en Septembre 2020 dans l’éminent recueil de référence Veterinary Clinics of North America. La section qui me fait réagir est intitulée « Mythes et idées fausses en rapport avec la nutrition féline » (1).

En 2021, les spécificités nutritionnelles du chat en rapport avec son régime carnivore ne sont plus remises en question par les nutritionnistes de l’industrie du Petfood. Toutefois, ces derniers ont parfois tendance à balayer d’un revers de main arrogant la controverse avec leurs détracteurs, qui ne partagent pas leur « philosophie » de l’alimentation industrielle pour les chats, celle-là même qui tente de concilier trois types de santé: celle des chats,  celle de notre planète, et celle, financière, de ces grands groupes agroalimentaires transnationaux. Pour ce dernier point, les résultats sont excellents.

L’objet de ces articles n’est pas de contester la justesse des propos du Dr LAFLAMME,  nutritionniste vétérinaire et chercheuse ultra-compétente, mais plutôt de pointer le dogmatisme de ses thèses, assénées comme des vérités scientifiques incontestables, ce qui est le propre du discours idéologique. Car ces vérités n’englobent pas toute la réalité. Elles sont réductionnistes, c’est à dire qu’elles ont tendance à réduire des phénomènes complexes à leurs composants les plus simples et à considérer ces derniers comme plus fondamentaux que le but recherché en nutrition préventive à savoir: permettre aux chats de vivre le plus longtemps possible, et sans maladie chronique.

Premier point de controverse: la digestion et l’assimilation des protéines végétales

« Les chats ne peuvent pas digérer ni utiliser les protéines végétales. » C’est le premier mythe remis en cause, et l’on comprend aisément que la problématique est de taille. En effet, pour préserver notre planète du réchauffement climatique et sauvegarder la biodiversité, il convient de trouver des alternatives aux protéines animales. La réponse de l’expert est la suivante: les protéines végétales issues du soja ou des glutens de céréales peuvent être rendues très digestibles par les procédés de cuisson industrielle modernes. Et même si ce sont des protéines dites incomplètes (déficitaires pour un ou plusieurs acides aminés indispensables), elles peuvent constituer une excellente base pour l’apport en protéines alimentaires pour les chats. Il suffira alors tout simplement de complémenter les aliments au cours de leur fabrication avec les acides aminés indispensables manquants comme la taurine ou la méthionine… des acides aminés de synthèse.

Les protéines végétales de médiocre qualité pour les chats

Ce sont les acides aminés soufrés et plus particulièrement la méthionine, qui sont les facteurs limitants des produits végétaux (pour les légumineuses surtout, car les céréales en contiennent davantage). Or, la méthionine est cruciale pour les chats. C’est le point de départ d’une soixantaine de réactions métaboliques, dont la fameuse néoglucogénèse. C’est aussi un précurseur de la cystéine (protéine des poils), de la taurine et de la félinine (phéromone indispensable au marquage urinaire). http://dietetichat.info/pourquoi-votre-chat-ne-sera-jamais-veggy/

On garantit ainsi que les aliments à base de protéines végétales sont complets et équilibré. Mais ça, c’est la théorie. Car en pratique, cette complémentation s’avère fréquemment défectueuse, comme en témoigne des analyses indépendantes auxquelles les fabricants ne sont pas tenus de soumettre leurs produits (2).  De plus, peut-on garantir que cette soupe industrielle ultra-transformée est saine pour nos matous ? En effet, la digestibilité des protéines végétales reste médiocre. Et même si on les soumet à un trempage et une cuisson au préalable, même avec les formes les plus purifiées (isolats), une proportion importante de protéines végétales résistera au processus de digestion. Cela s’explique par le fait que les graines de légumineuses et de céréales sont composées de cellules, encapsulées par une paroi très épaisse et rigide qui rend les protéines inaccessibles aux enzymes de l’estomac (les pepsines). De fait, leur digestion est ralentie comparée à celle des protéines animales.

Le chat a besoin de protéines à digestion rapide

Or, le chat a besoin de protéines à digestion rapide, car son intestin grêle est très court, comme chez tous les carnivores. Finalement, une partie importante de ces protéines, difficilement quantifiable, ne sera pas absorbée et arrivera intacte dans les parties terminales de l’intestin. Au mieux, la digestibilité des protéines végétales sera inférieure de 10 % à celles des protéines animales.

De plus, quid des acides aminées inutiles à l’organisme du chat? Ces acides aminés, en grand nombre dans les protéines végétales, ne pourront ni être utilisés pour la fabrication des protéines structurelles, ni recyclés pour fabriquer du glucose (le substrat énergétique cellulaire) grâce à la néoglucogénèse. Le recours à des protéines végétales est probablement responsable d’un gaspillage énergétique et azoté important. Et cela sera d’autant plus préjudiciable à votre chat que son appétit sera par ailleurs diminué (chat âgé, insuffisant rénal…). A cela s’ajoute aussi le fait que les protéines végétales sont moins appétentes que les protéines animales. Par précaution, il faudra donc éviter les aliments riches en protéines végétales dans les situations où l’appétit de votre chat est compromis.

Deuxième point de controverse: la digestion et l’assimilation des amidons

« Les chats ne peuvent pas digérer ni utiliser les glucides. » C’est le second mythe. Là encore, on comprend bien l’intérêt de la question. Si on peut substituer à une partie du carburant énergétique originel du chat, les protéines (qui sont « transformées » en glucose via la voie métabolique privilégiée des carnivores, la néoglucogénèse) avec un carburant moins cher et qui en plus préserve la planète, c’est tout « bénef » ! L’expert concède les spécificités métaboliques du chat (« aveugle » au goût sucré, équipement enzymatique déficient pour la digestion des glucides…). Toutefois, là encore, le traitement technologique des amidons (cuisson, extrusion) permet de les rendre digestibles à plus de 80 % chez le chat. Au point que l’amidon des croquettes est rendu aussi biodisponible pour le chat que le sucre que vous mettez dans votre café !

Effectivement, la cuisson affecte la matrice des amidons, c’est à dire la structure et l’architecture tridimensionnelle de ces polymères de glucose. Ils se gélatinisent, ce qui favorise l’accès et le traitement par des enzymes digestives (disaccharidases). Lorsque des aliments « sucrés », que ce soit des céréales, des légumineuses ou des fruits, sont ainsi transformés, on rend davantage assimilable (biodisponible) le glucose qui les composent. Cela a été largement démontré par des études in vitro.

Oui, mais les chats n’ont pas besoin d’autant de sucres

Cette optimisation de l’assimilation du glucose par l’organisme des chats doit cependant être contrôlée. C’est pourquoi on incorpore surtout des glucides dits « complexes » dans les croquettes « premium ». Leur index glycémique (une notion non avérée en médecine vétérinaire) serait ainsi réduit. Et le glucose dont la libération a été favorisée par la cuisson, passera dans le sang de façon plus graduelle… Magie ! Ceci n’est absolument pas démontré chez le chat. Soit le glucose reste enfermé dans des structures moléculaires complexes (réseaux de fibres glucidiques ramifiées, cellulose, hémicellulose, pectines), alors il n’est pas digéré par le chat et il ira nourrir la flore bactérienne (bénéfique ?) du gros intestin. Soit il est rendu assimilable de façon quasi-complète et rapide au niveau de l’intestin grêle. Or, les chats n’ont pas besoin d’autant de sucres. Alors dans ce cas, peut-on alors parler de bénéfice pour la santé des chats ?

Ces nouveaux ingrédients à la mode

L’ultra-transformation des aliments autorise l’incorporation d’ingrédients que le chat ne mangerait jamais naturellement, sans parler des additifs.

Quelles sont donc les nouveaux ingrédients à la mode, qui doivent vous interpeler ? En premier lieu, la star… le soja. C’est la principale source de protéines végétales dans l’alimentation animale. Pourtant, le soja contient de nombreux facteurs anti-nutritionnels, dont un non négligeable, la lectine… du gluten à la puissance dix ! Les plantes fabriquent les lectines pour se protéger des prédateurs, omnivores ou herbivores. Le chat, qui lui ne mange pas de végétaux à l’état naturel n’était pas visé, mais de fait il n’est pas épargné. Ainsi, trop de lectines peuvent favoriser la libération d’histamine, une réaction inflammatoire toxique qui perturbe la barrière intestinale en la rendant plus perméable.

D’autres légumineuses ont le vent en poupe, comme les pois ou des lentilles. Leur teneur élevée en protéines et leur amidons à faible index glycémique sont plébiscités chez l’homme. Toutefois, la cuisson-extrusion des légumineuses est moins efficace pour améliorer la digestibilité des glucides qu’ils renferment. Ils sont bien moins bien digérés (et digestes) que l’amidon contenu dans les céréales. C’est d’ailleurs ce qui les rend intéressant dans l’alimentation des humains qui ont un diabète de type 2.  Enfin, comme le soja, ces autres légumineuses récèlent des facteurs anti-nutritionnels, les saponines, les facteurs anti-trypsiques, l’acide phytique, la vicine-convicine…

Finalement, sans une cuisson forte qui détruit une grande partie de ces toxiques potentiels, les légumineuses (dont le soja) ne seraient pas consommables par un chat.

Méfiance chez les chats dits « sensibles »

Il est d’usage, à tort, de transposer les données de l’alimentation humaine à la nutrition des carnivores. A mon tour, permettez-moi d’utiliser ce biais pour étendre le débat à la santé des chats. Ainsi, il est à signaler que les légumineuses comme les pois ou les lentilles, sont peu consommés par les personnes souffrant de troubles fonctionnels du côlon (colopathie fonctionnelle). Or, s’il est une pathologie émergente chez les chats « modernes », c’est bien les M.I.C.I. L’acronyme M.I.C.I. signifie communément Maladie Inflammatoire Chronique de l’intestin, mais l’adjectif « chronique » est désormais remplacé par « cryptogénique »… de cause inconnue ! Bien entendu, un lien de causalité entre ces aliments et l’incidence croissante de cette affection chez le chat ne peut être établi. Mais on peut s’interroger sur la pertinence d’incorporer de tels ingrédients pour ces chats dits « sensibles ».

Dans le syndrome de l’intestin irritable de l’homme, on conseille de limiter les végétaux. Le blé, l’orge, la betterave, les légumineuses, les fruits, sont regardés avec méfiance.  Les composant en cause dans les troubles digestifs ressentis par les sujets humains sont les FODMAP (traduction française: « oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentescibles par la flore intestinale »). Ce sont des dérivés glucidiques de petite taille, très peu absorbés dans l’intestin grêle, mais fermentescibles dans le gros intestin, et sans bénéfice pour la flore intestinale.

Ultra-transformé ne rime pas avec santé?

L’assimilation des amidons et des protéines végétales n’est donc possible qu’après des traitements technologiques agressifs. Malheureusement, ceux-ci ont pour effet de déstructurer totalement la matrice des aliments. Et au lieu de se compléter avantageusement (effet synergique), les nutriments qui les composent perdent une grande partie de leur potentiel « santé » dans le magma moléculaire obtenu.

On sait notamment que les traitements thermiques (cuisson-extrusion) des graines neutralisent leur potentiel antioxydant tant vanté chez l’homme pour les fruits et légumes.

De plus, il semble qu’ils augmentent le potentiel alcalinisant des aliments. C’est un souci non négligeable pour les chats, que l’on expose davantage à la fameuse « vague alcaline ». Cette alcalinisation métabolique est amplifiée quand un chat ne fait qu’un ou deux gros repas par jour. Cela est propice à la formation des calculs urinaires de struvite. D’où l’usage généralisé de complémenter les aliments industriels avec des acidifiants chimiques. En fait, ce phénomème est principalement rencontré avec les régimes alimentaires riches en glucides, comme les croquettes. On n’observe pas cela avec les pâtées ou les rations ménagères.

Il a aussi été démontré chez l’homme que les traitement thermiques forts (type extrusion comme pour les croquettes) diminuent d’environ 20 % le potentiel lipotropique des produits alimentaires d’origine végétale (limitation de l’accumulation de graisses dans le foie). Or les croquettes « premier prix », riches en glucides et carencés en protéines de qualité, sont souvent impliquées (d’après mes observations personnelles) dans la survenue de la lipidose hépatique qui affecte les chats.

Enfin, l’impact négatif de ces glucides ultra-transformés sur la satiété est clairement démontré chez l’homme. Cela constitue un facteur de risque majeur d’obésité.

Pour conclure…

De ces deux premiers points de controverse, il faut surtout retenir que l’argumentation de l’auteure se cantonne à l’étage digestif. Or le chat n’est pas un simple tube digestif. L’article n’aborde aucunement le devenir de ces amidons et de ces protéines végétales dans l’organisme. Atteignent-ils  leur « cible organique » afin de réaliser leur potentiel santé attendu ? Sont-ils absorbés à la bonne vitesse ?  Prennent-ils la bonne voie métabolique ou sont-ils détournés, avant d’être éliminés ? Ensuite, tous ces nutriments végétaux ultra-transformés ne comportent-ils pas une part de toxicité ? Comme tout xénobiotique, au même titre que les médicaments ou les pesticides, il génèrent des déchets métaboliques qu’il importe de mieux connaître. Ainsi, on a pu observer récemment une recrudescence des cas de cardiomyopathie dilatée chez le chien, en rapport avec la consommation d’aliments riches en légumineuses (3).

La question principale est donc : « Ces nutriments non naturels ne favorisent-ils pas la survenue des affections chroniques qui touchent de plus en plus nos chats depuis quelques décennies ? » Par manque de preuves, ces questions continueront d’être contestées. Mais avec les prochains articles, nous irons encore plus loin pour « alimenter » ces sujets de controverse.

Références

  1. Dottie P. Laflamme – Understanding the Nutritional Needs of Healthy Cats and Those with Diet-Sensitive Conditions – Vet Clin Small Anim 50 (2020)
  2. Kanakubo and al. Assessment of protein and amino acid concentration and labeling adequacy of commercial vegetarian diets formulated for dogs and cats. JAVMA 2015.
  3. Sydney R Mc Cauley et al – Review of canine dilated cardiomyopathy in the wake of diet-associated concerns – Journal of Animal Science (2020).

Interview pour le groupe « Alerte Croquettes Toxiques »

Le groupe facebook « Alerte Croquettes Toxiques » et ses 100000 membres, témoigne du souci grandissant des possesseurs de chiens et chats  pour l’alimentation de leurs compagnons. Évidemment, la cible principale du groupe animé par Gilles Vouillon, ce sont les croquettes. Sur ce point, nous nous rejoignons, et le titre provocateur de mon livre « Pour en finir avec les croquettes pour chats » ne laisse planer aucun doute sur le sujet. Toutefois, ce n’est pas un brûlot sur les croquettes mais une source d’informations scientifiques fiables, dans laquelle les lecteurs peuvent piocher voire s’inspirer. Les solutions que je préconise sont loin d’être révolutionnaires, mais réalistes. Je les prescris quotidiennement à mes patients félins.

En effet, je reste ancré dans la réalité et je suis conscient que tout changement majeur ne peut se faire que par étapes. Alors, mon voeu le plus cher en ce début d’année 2020, serait que l’industrie du petfood cesse de dénigrer cette prise de conscience collective en se montrant plus transparente, et en participant de fait à la naissance du nouveau paradigme qui se profile pour l’alimentation des carnivores domestiques. Une utopie ?

Voici le contenu de l’interview que j’ai donné à Gilles Vouillon, 16 questions qui illustrent ma « philosophie nutritionnelle » pour les chats (https://drive.google.com/file/d/1QKSNpr07jwVOI5QsOZCfeXzOWlIhR1z9/view?usp=sharing).

Pour en finir avec las croquettes pour chats
Dessin Eric Ronceray

DANS VOTRE OUVRAGE, VOS CONVICTIONS ET VOS RECOMMANDATIONS SONT PARFOIS EN CONTRADICTION AVEC LES ARGUMENTS SCIENTIFIQUES DES SPECIALISTES EN NUTRITION ANIMALE. SUR QUOI VOUS FONDEZ-VOUS ?

D’abord, en science, il n’y a pas de vérité absolue.

Ensuite, la base de la science, en biologie notamment, c’est l’observation. C’est ce que je m’efforce de faire au quotidien. J’observe, je confronte mes observations à mes intuitions, je les vérifie et je tente de trouver des explications en les recoupant avec les publications scientifiques déjà existantes. Ainsi j’affine mes propres théories. Mais je suis aussi lucide. Je suis prêt à abandonner mes théories lorsqu’elles ne collent plus aux faits, sinon cela deviendrait une religion.

Ainsi, j’ai longtemps cru que l’alimentation exclusivement humide, comme le préconisaient certains gourous outre-Atlantique était le Graal pour tous les chats. Mais au quotidien, l’alimentation exclusivement humide revient souvent trop cher pour le plus grand nombre de possesseurs de chats. En plus, c’est beaucoup moins pratique que les croquettes. J’ai alors nuancé ma position, en incitant déjà les propriétaires à donner chaque jour un peu de pâtée à leur chat, tout en conservant mais en réduisant significativement les apports en croquettes. J’ai alors été surpris de constater que les bénéfices santé pour les chats étaient déjà considérables. Aujourd’hui, c’est ma principale recommandation pour les chats en bonne santé, ce que l’on appelle l’alimentation mixte ou bi-nutrition.

Quant aux chercheurs, les scientifiques, leurs résultats sont toujours biaisés ! Un chercheur convaincu par son hypothèse de départ, encouragé par les développements possibles que sa découverte pourra apporter à l’entreprise qui finance ses recherches, aura tendance à influencer (parfois involontairement) ses conclusions. En présence d’intérêts financiers, il existe un réel risque de manipulation des résultats scientifiques. Ce n’est pas moi qui le dit, mais le professeur Didier Raoult, un microbiologiste français renommé sur le plan mondial, et qui a publié des milliers d’articles scientifiques.

Ainsi, la théorie selon laquelle les croquettes pouvaient constituer l’aliment idéal pour les chats s’est imposée comme un dogme, une évidence inattaquable. Pendant des décennies, à travers les articles scientifiques produits par les pôles de recherche des fabricants eux-mêmes, on a vanté les soi-disant bienfaits des croquettes. C’est désormais un concept, une idée reçue qu’il est très difficile de contredire. Pourtant, avec pour unique aliment des croquettes, rares sont les chats qui vivent au delà de quinze ans. C’est un fait !

Le plus amusant c’est que ce sont les fabricants de petfood eux-mêmes qui sont à l’origine des critiques qui se concentrent de plus en plus sur les croquettes. En voulant s’engouffrer de façon opportuniste dans la niche commerciale du « sans céréales » ils ont ouvert la boite de Pandore, laissant entrevoir tout ce qu’il y a d’irrationnel dans cet aliment nommé croquette. « Des céréales pour les chats, c’est insensé ! », mais les patates et les légumineuses qui les remplacent, ce n’est pas mieux.

Finalement, plutôt que de vouloir imposer ma vérité avec mon livre, je désire faire oublier celle qui s’est insinuée subrepticement dans les cerveaux de presque tous, des professionnels aux consommateurs: « les croquettes sont ce qui y a de meilleur pour la santé des chats », car cela n’est pas vrai ! Ce constat est pour moi une intime conviction… même si parfois les preuves peuvent manquer.

LES RESULTATS SCIENTIFIQUES DOIVENT DONC ÊTRE REGARDÉS AVEC CIRCONSPECTION. QUE PENSEZ-VOUS DE L’ÉTUDE SUÉDOISE SUR LE GÈNE Amy2B ET LA SUPPOSÉE MEILLEURE DIGESTIBILITÉ DE L’AMIDON PAR NOS CHIENS DOMESTIQUES, LORSQU’ON SAIT QUE CETTE ÉTUDE A ÉTÉ COFINANCÉE PAR NESTLÉ PURINA ?

Je ne l’avais jamais lue auparavant. En fait, l’auteur principal est français et chercheur au CNRS de Lyon, une institution scientifique plus que respectable. Que Purina finance cette étude montre que la firme s’intéresse au sujet des glucides et aux implications potentielles pour la santé des carnivores domestiques. A quelle fin ? Je ne me prononcerai pas. Enfin, la paléogénétique, c’est du concret. On recherche des preuves réelles, des supports tangibles: de l’ADN. C’est passionnant ! Cela nous permet de savoir ce que mangeait l’homme de Néandertal il y a 100000 ans. Donc, je présume que cette étude est très sérieuse.

Toutefois, aucune mutation similaire n’a selon moi été mise en évidence chez le chat, qui je vous le rappelle est le sujet de cet interview. Chez le chat, l’activité amylasique pancréatique et intestinale (c’est le sujet de l’article) est très réduite. Même chose pour les disaccharidases intestinales. Il est donc incontestable que les chats ont une tolérance limitée pour les glucides, et un besoin en protéines alimentaires très accru comparé au chien et aux autres omnivores.

D’autres études génomiques ont confirmé la perte du gène codant pour l’hormone INSL5 (analogue de l’insuline) chez le chat, qui régule la sensation de faim et participe à l’homéostasie glycémique chez d’autres animaux (et notamment le chien). Cela expliquerait pourquoi la néoglucogénèse (fabrication de glucose à partir des protéines) ne cesse jamais chez le chat, même après un repas. Cette signature génétique est celle d’un hypercarnivore, d’un chasseur rompu aux prises alimentaires irrégulières. Une conséquence dommageable pour lui sera par contre une régulation moins fine de la glycémie lors d’absorption massive de sucres, comme c’est le cas avec les croquettes.

DANS VOTRE OUVRAGE, VOUS AFFIRMEZ QUE DE NOUVELLES MALADIES NUTRITIONNELLES SONT APPARUES DEPUIS QUE LES CHATS SONT NOURRIS AVEC DES CROQUETTES . AUTREMENT DIT, LES CROQUETTES POURRAIENT EMPOISONNER LES CHATS ?

Oui, et c’est précisément la question que je soulève en 4e de couverture : « Sommes-nous en train d’empoisonner nos chats ? ». C’est un peu provocateur, aussi je compléterai mes propos par la citation de l’alchimiste Paracelse: « Tout est poison et rien n’est poison: c’est la dose qui fait le poison. »

Les maladies nutritionnelles ne datent pas d’aujourd’hui. A la fin des années 70, qui marquent le début de l’engouement pour les animaux de compagnie, de nombreux chatons étaient nourris uniquement avec de la viande ou du foie par leurs propriétaires qui croyaient bien faire. Il s’en est suivi de nombreux cas graves d’hyperparathyroïdisme secondaire d’origine nutritionnelle (trop de phosphore et pas assez de calcium dans la viande) et d’hypervitaminose A (régimes riches en foie). Ainsi, plutôt que de laisser faire n’importe quoi, il a été préconisé aux propriétaires d’opter pour l’alimentation industrielle, supposée plus équilibrée et plus pratique.

Mais dès ses débuts, l’alimentation industrielle a essuyé les plâtres. Des milliers (et probablement des millions à ce jour) de chats « bouchés » sont morts immédiatement après la commercialisation des toute premières croquettes. Les cystites, les obstructions de l’urètre ont explosé dans tous les coins du monde, à cause d’une formulation défectueuse pour la fraction minérale des croquettes. L’incidence des problèmes urinaires liés aux croquettes a diminué, mais c’est encore un motif de consultation fréquent de nos jours. Dans les années 80, d’autres chats ont été victimes de carence en taurine du fait de contrôles défectueux dans le process de fabrication, ou lorsque des aliments végétariens ou destinés aux chiens étaient distribués aux chats de façon régulière. Les données épidémiologiques établissent aussi un lien entre l’alimentation industrielle et l’hyperthyroïdie. Les lésions de résorption dentaire (« caries du collet ») étaient rarement diagnostiquées avant les années 80. Les MICI, les allergies (autres que celles causées par les piqûres de puces) étaient alors exceptionnelles.

De nos jours, l’ingestion journalière de trop de glucides contenus dans les croquettes explique l’épidémie de chats obèses et diabétiques. Et cela quelles que soient les croquettes selon moi. Car un chat qui ingère 100 g de croquettes (laissées en libre service) contenant 25 % de glucides, court le même risque que celui qui mange raisonnablement 50 g de croquettes à 50 % de glucides ! En fait, c’est surtout parce qu’il est impossible de respecter les quantités journalières recommandées par les fabricants que les chats deviennent obèses. Avec 50 g de croquettes par jour, la majorité des chats crient famine, et leurs propriétaires se résignent à laisser les croquettes en libre-service, pour avoir la paix. Et c’est cette surconsommation de croquettes riches en glucides qui explique l’obésité, « c’est la dose qui fait le poison. » Une autre maladie du chat, la lipidose hépatique est favorisée par l’obésité, mais elle est aussi causée par une malnutrition protéique (croquettes « premier prix »). 

L’ARGUMENT SANTÉ LE PLUS UTILISÉ PAR LES VENDEURS DE CROQUETTES EST QUE LES CROQUETTES PRÉVIENNENT LE TARTRE À LA DIFFÉRENCE DES PÂTÉES QUI LE FAVORISENT. QU’EN PENSEZ-VOUS ?

C’est un mythe. C’est vrai que les chats qui mangent plus de croquettes semblent avoir moins de plaque dentaire et de tartre. Par contre, il n’est pas nécessaire qu’un chat mange exclusivement des croquettes pour en avoir le bénéfice. La majorité des chats que je soigne ont adopté la bi-nutrition et n’ont pas besoin de détartrage, dès lors que l’on tolère la présence d’une fine couche de plaque dentaire (sans conséquence) sur les dents. Ma propre chatte, que je nourris exclusivement avec de la viande coupée en petits morceaux (parfois hachée), ce qui ne favorise pas les efforts masticatoires, a un peu de tartre sur ses carnassières. Elle n’a été détartrée qu’une seule fois en 10 ans. Par contre, ses gencives, « c’est du béton » !

Au contraire, certains auteurs spécialisés en dentisterie prétendent que les résidus glucidiques (des miettes de croquettes) qui restent entre les dents favorisent une flore buccale qui aggraverait les gingivostomatites des chats. De plus, les croquettes « labellisées » pour prévenir l’apparition de tartre sont aussi parmi les plus glucidiques (plus de 50 % !). Finalement, un peu de croquettes (ce n’est pas obligatoire) peuvent suffire à prévenir le tartre et la mauvaise haleine. Il n’y a aucun risque de déchaussement des dents à la différence des chiens (parodontite). Et en présence de gingivite, de parodontite ou de stomatite chronique, ma recommandation c’est l’alimentation humide industrielle ou ménagère.

QUEL EST LE PRINCIPAL DÉFAUT DES CROQUETTES POUR LES CHATS SELON VOUS ?

L’absence d’eau, de toute évidence. Mais j’insiste une fois de plus, mes propos ne concernent que les chats !

Pour les chats, c’est le besoin en eau qui est le moins respecté avec les croquettes. Le chat a besoin d’un millilitre d’eau par kcal ingérée. Autrement dit, un chat qui mange 60 g de croquettes devrait boire à côté 250 ml d’eau… soit le volume d’un demi de bière ! Rares sont les chats sains qui boivent une telle quantité (d’eau, bien sûr !). D’ailleurs, tous les scientifiques sont d’accord sur ce point précis: un chat nourri avec des croquettes compense à peine la moitié de ses besoins en eau, en buvant. Et lorsqu’un chat surconsomme les croquettes (alimentation en libre-service), le déficit hydrique s’accentue encore davantage. C’est d’autant plus critique que le chat est déjà une espèce animale « subcliniquement déshydratée » (Pedersen). La volémie d’un chat (volume total de sang circulant) est de 55 ml/kg contre 85 ml/kg pour un chien.

De plus, les fabricants saupoudrent désormais allègrement des fibres hydrosolubles sur les croquettes pour chats (notamment celles formulées pour les boules de poils). Ces fibres agissent comme des petites éponges, qui lorsqu’elles parviennent dans le côlon captent l’eau. Votre minou éliminera régulièrement de jolis colombins bien moulés, et volumineux… alors qu’un chat nourri avec de la viande ne fera qu’une selle tous les 2 à 3 jours ! En piégeant ainsi l’eau disponible, les croquettes accentuent le déficit hydrique des chats. Autrement dit, les croquettes diminuent la « digestibilité de l’eau ».

Les organes qui en font le plus les frais sont ceux du système urinaire, la vessie en premier lieu et plus rarement les reins. Pour faire simple, les urines de chat sont naturellement très concentrées, de l’ordre de deux fois la concentration de l’eau de mer. En ne leur donnant que des croquettes, on accentue cette concentration en minéraux. Du fait d’un abreuvement insuffisant, les urines stagnent plus longtemps dans la vessie, ce qui favorise le risque de formation de cristaux. Vous avez peut-être été confronté au problème des fameux struvites pour votre chat. Et bien sachez que chez le chat, c’est normal d’en trouver, et ce n’est que lorsqu’ils sont en très grand nombre (« +++ » sur les analyses urinaires) que cela devient problématique.

La seule et unique solution qui garantisse à votre chat de ne plus souffrir de maladies du bas appareil urinaire est de l’inciter à boire plus. Et le moyen le plus sûr d’y parvenir est de manger humide (si ce n’est en totalité, au moins en partie, c’est la bi-nutrition). Avec ce mode d’alimentation, les chats ont des urines plus abondantes et moins concentrées en minéraux précurseurs de calculs urinaires. Les mictions sont plus fréquentes et contribuent à nettoyer la vessie de votre chat du « sable » qu’il fabrique naturellement et qui s’accumule d’autant plus que son régime est sec. 

AFIN QUE LES CHATS BOIVENT DAVANTAGE, VOUS ÊTES DUBITATIF SUR LES BIENFAITS DES FONTAINES À EAU DANS VOTRE OUVRAGE. ALORS, CONSEILLEZ-VOUS DE RÉHYDRATER LES CROQUETTES AVEC DE L’EAU ?

 Sur le principe c’est probablement une excellente idée, adoptée par bon nombre de possesseurs de chiens. Mais les chats détestent ça ! Donc, non, je ne le conseille pas souvent. Par contre, je suggère de mélanger une partie des croquettes avec de la sauce de pâtée, pour aider les chats réfractaires à accepter la pâtée lorsqu’ils ne sont pas fans d’alimentation humide. S’ils acceptent, il peut être intéressant d’augmenter alors peu à peu l’hydratation d’une partie des croquettes de cette façon. Essayez !

ETES VOUS D’ACCORD SUR LE FAIT QUE LES CROQUETTES CONTIENNENT AUSSI POUR LA GRANDE MAJORITÉ D’ENTRE ELLES TROP DE GLUCIDES ? ET QUE CES GLUCIDES EN EXCÈS SONT NÉFASTES POUR LES CHATS ?

Oui, et je détaille ce problème à travers plusieurs chapitres de mon livre. Il est difficile de contester le fait que l’ingestion quotidienne de trop grandes quantités de glucides, dont les croquettes sont le principal pourvoyeur, explique en grande partie la prévalence accrue de l’obésité chez les chats. Comme chez les humains ! Pourtant, certains scientifiques tentent encore de relativiser le rôle délétère des glucides pour les chats. En effet, certains d’entre eux sont épargnés car ils parviennent à réguler efficacement leur consommation volontaire de croquettes. Mais d’autres semblent pouvoir consommer en quelques minutes leur quota de calories quotidiennes.

Les croquettes sont aussi un risque majeur de survenue du diabète chez le chat. Une récente étude épidémiologique suédoise portant sur 2000 chats dont 400 diabétiques le confirme. Enfin, la « caramélisation organique » des chats nourris au « tout-croquettes » participe probablement aussi à d’autres affections encore mal comprises. Je pense notamment à l’épidémie de calculs d’oxalate de calcium qui sévit depuis 20 ans. Ces calculs, lorsqu’ils se forment dans les reins, sont responsables d’insuffisance rénale fatale aux chats dès l’âge de 5 à 7 ans. Or les oxalates sont fabriqués par l’organisme, ce sont des déchets du métabolisme glucidique. Je développe dans mon blog et mon livre une pathogénie possible, mais à ce jour ma théorie n’a pas suscité pas beaucoup d’intérêt ! J’avais élaboré la trame d’un questionnaire d’enquête à l’intention des spécialistes félins internationaux (ISFM) sur ce problème… mais il a dû se perdre ! En tout cas, la seule prévention admise par la communauté scientifique pour éviter les récidives des calculs d’oxalate de calcium, c’est d’adopter une alimentation 100 % humide. CQFD. Est-ce seulement dû aux bienfaits de l’eau ?

THOMAS MEYER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FEDIAF, AFFIRME QU’AUCUNE ÉTUDE D’IMPACT DES GLUCIDES N’AURAIT ÉTÉ FAITE DEPUIS 40 ANS POUR CONNAÎTRE LES EFFETS DES GLUCIDES SUR LA SANTÉ DES ANIMAUX. VOUS LE CROYEZ?

 Je suis persuadé qu’il est sincère, car cela supposerait d’avoir des données fiables portant sur des dizaines de milliers de chats. En plus, les conclusions d’études fondées sur des enquêtes sont souvent erronées ! Par contre, même si la preuve n’est pas faite sur les effets néfastes des glucides pour le chat, on dispose d’un faisceau d’indices suffisant pour que l’industrie du petfood s’y intéresse. Alors, plutôt que de répondre par un certain mutisme teinté de dédain, la FEDIAF devrait se risquer à émettre des recommandations sur le sujet… même si elles n’émanent pas de Purina, Royal canin ou Hill’s. Cela s’appelle le principe de précaution.

Personnellement, je me risque à conseiller que les glucides n’excèdent pas 20 % des calories journalières ingérées par un chat.

ÊTES- VOUS FAVORABLE À CE QUE LE TAUX DE GLUCIDES SOIT MENTIONNÉ SUR LES ÉTIQUETTES DES ALIMENTS POUR CHATS ?

Absolument, les pratiques doivent évoluer dans ce sens. Il faut que les fabricants acceptent que ce critère participe à orienter le choix des possesseurs de chats. Dans mon blog, j’ai imaginé un nouveau logo pour promouvoir les  aliments les moins délétères pour les chats, le gluci-score (à l’image du nutri-score pour les produits humains destiné à inciter à consommer des aliments plus sains, moins gras, moins salés ou moins sucrés). En outre, comme c’est déjà le cas sur certaines références de croquettes, les mentions incitatives en faveur d’une distribution journalière simultanée de croquettes et d’aliments humides doivent se généraliser, en mentionnant clairement les quantités respectives recommandées.

A l’inverse, il convient aussi de bannir les arguments marketing anthropomorphiques et souvent fallacieux comme le « sans céréales ». Les aliments « sans céréales » n’ont d’intérêt que s’ils affichent aussi une baisse significative du taux de glucides. Au passage, il est à noter que beaucoup d’aliments « bio » (mais pas tous) sont composés d’une fraction glucidique plus importante que leur alter ego « non  bio ». En effet, ils contiennent davantage d’ingrédients végétaux car l’offre en légumes « bio » est plus large que celle en produits animaux « bio » (aussi beaucoup plus onéreux). En contrepartie, une enquête a révélé que les aliments humides « bio » contenaient les taux de mycotoxines les plus faibles… moins élevés même que les aliments humides « sans céréales » !

Mais le taux de glucides n’est pas tout. C’est insuffisant pour juger de la qualité d’un aliment. A taux de glucides égal, deux références de croquettes n’auront pas forcément la même qualité nutritionnelle. Le taux de glucides n’est qu’un élément parmi beaucoup d’autres à prendre en considération. Hélas, même en ayant un master en lecture d’étiquettes, il est difficile d’être certain de la qualité d’un produit.

Selon moi, c’est surtout lorsque la part de croquettes est majoritaire dans l’alimentation de votre chat que le critère d’une faible teneur en glucides sera déterminant. Dans ce cas précis, les croquettes avec moins de glucides (20 % et moins) feront la différence pour le risque d’obésité. A condition, je le répète, de contrôler strictement les quantités distribuées. Une distribution en libre-service annulerait les effets positifs escomptés. Il est regrettable que ces croquettes « nouvelle génération » adoptent des arguments marketing qui les discréditent parfois à mes yeux quant à leur sérieux et à leur professionnalisme. Ainsi, telle marque vendue sur le web uniquement qui affirme que ses produits « à index glycémique bas » conviennent aux chats diabétiques… non, non et non ! Cette même marque réfute le fait qu’un chat nourri avec ses croquettes pourra être en déficit hydrique et de ce fait sera épargné par les problèmes urinaires. C’est encore faux ! Il est vrai qu’aucune étude clinique n’est obligatoire, même pour les aliments sur prescription vendus dans le circuit vétérinaire ! Cette communication numérique fallacieuse se retrouve aussi chez ceux qui mettent en avant la présence de fruits et légumes dans leurs croquettes, de la canneberge, du romarin… de la farigoulette. Ahahah. Tout ça, c’est du bidon !

Au passage, plusieurs de ces références « low carb » contiennent beaucoup de matières grasses d’excellente qualité (oméga 3) mais fragiles, ce qui les rend leur conservation plus délicate. Ces acides gras poly-insaturés rancissent facilement. Donc attention aux gros packagings ! Une fois ouvert, un sac devrait être consommé dans les deux mois.

Enfin et pour clore ce débat sur les glucides, si votre chat mange essentiellement de l’humide, les quelques grammes de croquettes à 40 % de glucides qu’il ingèrera chaque jour n’auront probablement pas d’effet néfaste mesurable pour sa santé. 

DE PLUS EN PLUS DE POSSESSEURS DE CHATS S’INQUIÈTENT DE LA TENEUR EN PHOSPHORE DES ALIMENTS POUR CHATS, SUPPOSÉE EXCESSIVE ET NÉFASTE POUR EUX. QU’EN PENSEZ-VOUS ?

C’est une question un peu compliquée. Récemment, une étude alarmante a même mis en garde contre les aliments humides vendus dans le commerce et dont la teneur en phosphore serait trop élevée. L’alimentation ménagère aussi est souvent suspectée d’apporter trop de phosphore (provenant de la viande, des abats ou du poisson). En l’occurrence, il s’agit de « bon phosphore », alors que le phosphore industriel se « cache » souvent dans les conservateurs. Malgré cela, ce risque me semble exagéré.

En effet, depuis leur origine les chats mangent des proies riches en phosphore. La teneur en phosphore d’une souris est de 4 g de P / 1000 kcal. La plupart des aliments humides industriels affichent un taux de P situé entre 2,5 et 3 g de P / 1000 kcal. Et une étude de Waltham (Royal Canin) en 2019 confirme qu’ « aucun effet néfaste pour les chats adultes n’a pu être observé pour des taux de phosphore inférieurs à 3,6 g /1000 kcal ».

Par contre, lors d’insuffisance rénale, on constate une diminution de l’excrétion du phosphore (en excès) par les reins, et il arrive qu’une hyperphosphatémie s’installe peu à peu. Faut-il alors la combattre ou est-ce trop tard ? Chez l’homme, c’est un facteur de risque cardiovasculaire pris très au sérieux chez les patients en dialyse rénale. Chez le chat, ces complications cardiovasculaires sont inexistantes ! Certains argumentent que l’hyperphosphatémie accélèrerait la progression de l’insuffisance rénale. La seule chose que l’on puisse affirmer, c’est que lorsqu’une hyperphosphatémie est constatée, l’insuffisance rénale de votre chat est déjà très avancée.

La mesure préventive que proposent les fabricants est de réduire le taux de phosphore dans l’alimentation. Mais le bénéfice de cet abaissement du taux de phosphore est très peu documenté (une étude sur 80 chats datant de 2000 !). Aucune valeur seuil n’est établie. En outre, ces régimes industriels limités en phosphore ne permettent pas toujours de couvrir les énormes besoins qualitatifs et quantitatifs du chat pour les protéines. Ils contribuent parfois à aggraver la dénutrition des insuffisants rénaux. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de vétérinaires préconisent des régimes hyperprotéiques lors d’insuffisance rénale. Ce type de régime est au moins aussi pertinent que les régimes spéciaux actuels pour les chats insuffisants rénaux, surtout si on les associe à des chélateurs de phosphore (sous forme de médicaments). Ce serait la meilleure solution en terme de bien-être et de progression de la maladie rénale si et seulement si un chélateur de phosphore idéal existait. Car les chélateurs de phosphore actuellement disponibles sont peu efficaces, ou d’un coût prohibitif, ou inappétant, et surtout ils doivent être ajoutés à tous les repas pour les rendre efficaces.

Ce que l’on peut constater, c’est que les industriels sont parvenus à créer une psychose chez les possesseurs de chats en s’emparant du problème du phosphore. Ce n’est probablement pas délibéré… même s’il n’y a que les technologies industrielles qui permettent de cuisiner sans phosphore. 

VOUS NE DÉCONSEILLEZ PAS FORCÉMENT LES CROQUETTES POUR LES CHATS EN BONNE SANTE, MAIS SEULEMENT L’ALIMENTATION « TOUT-CROQUETTES ». SELON VOUS, LE MOYEN LE PLUS SIMPLE POUR DIMINUER LES RISQUES LIÉS AUX CROQUETTES, C’EST LA BI-NUTRITION. EXPLIQUEZ-NOUS CELA EN QUELQUES MOTS.

La bi-nutrition consiste à mélanger deux types d’alimentation. Dans mon ouvrage, je réserve le terme de bi-nutrition à l’alimentation industrielle (d’ailleurs, la paternité de ce néologisme revient à Royal Canin !). Tout le monde en convient, les croquettes sont des aliments sans eau, pauvres en protéines animales, riches en glucides et de densité énergétique élevée. La bi-nutrition consiste alors à associer chaque jour les croquettes de votre chat avec des aliments industriels humides. Ces pâtées ou sachets fraîcheur contiennent 70 à 80 % d’eau, beaucoup plus de protéines animales, très peu de glucides et ont une faible densité énergétique. On rééquilibre ainsi la ration journalière du chat selon les critères qualitatifs que je développe tout au long de mon livre.

SELON VOUS, LES CROQUETTES DOIVENT DONC ETRE ASSOCIEES A UN AUTRE TYPE DE NOURRITURE. EST-IL AUSSI JUDICIEUX DE LES ASSOCIER À DES INGREDIENTS MENAGERS COMME LA VIANDE OU LES LEGUMES ?

Définie plus largement, la bi-nutrition caractérise aussi le fait d’associer l’alimentation industrielle (croquettes et/ou pâtée) avec des ingrédients ménagers. Je préfère personnellement parler d’alimentation hybride.

Compléter régulièrement les croquettes avec de la viande me semble pertinent. Mais il faut se garder des excès pour les chatons en pleine croissance. Pour un chat adulte, on pourra donner par exemple 30 g de croquettes et 70 g de filet de poulet par jour. La ration sera déséquilibrée pour le calcium, le ratio Ca/P tombera sous les 0,7, mais c’est sans danger pour un chat adulte. Et ça je l’affirme haut et fort, en dépit des critiques que les « ayatollah «  universitaires (oui, il en existe) ne manqueront pas de formuler. D’ailleurs, que penser de l’obsession de ces mêmes experts à vouloir mettre des courgettes au menu de tous les chats en surpoids, mélangées aux croquettes notamment. Ont-ils évalué l’impact de cette pratique sur la baisse de digestibilité des protéines et notamment de la taurine, si importante pour les chats ? Donc les courgettes, je ne conseille pas, ce qui ne signifie pas que je les déconseille… mais qu’il n’y a aucune preuve de leur bénéfice pour rassasier ou faire maigrir les chats. Les bénéfices des fibres pour les chats ne concernent que les paresseux du côlon !

Enfin, pour l’alimentation hybride, je préfère de très loin le mix pâtée / viande, que je préconise très souvent quand les chats avancent en âge ou sont touchés par diverses affections. 

DANS VOTRE OUVRAGE, VOUS PASSEZ TRÉS SUCCINCTEMENT SUR LE BARF. EST-CE PARCE-QUE VOUS LE DÉCONSEILLEZ ?

Absolument pas. C’est bien moins irrationnel que de nourrir son chat exclusivement avec des croquettes. Mais je préfère le terme d’alimentation naturelle (à base de viande), plus parlant pour la majorité des gens que BARF (Biologically Appropriate Raw Food, ou Bones And Raw Food). Cependant, ce mode d’alimentation ne conviendra pas au plus grand nombre de possesseurs de chats qui répugnent à manipuler de la viande crue, ou qui ne disposent pas de capacité de stockage suffisante chez eux. Et bon nombre de chats sont dégoûtés par cette pitance paléolithique ! Enfin, ce qui me gêne le plus avec le BARF, c’est la présence d’os qui constituent un risque de lésions digestives non négligeable. Pour le reste, les contaminations bactériennes ou les déséquilibres minéraux maintes fois décriés sont selon moi marginaux comparés aux bénéfices de la « vraie » viande pour les chats.

Dans mon livre, je revisite de façon exhaustive les bénéfices de la viande… et ce, même pour les insuffisants rénaux ! Par contre, d’un point de vue pratique, je préfère avoir recours à de la viande achetée dans le commerce (du muscles et/ou un peu d’abats) que je complémente avec un complément minéral vitaminé (C.M.V.).

EN MATIÈRE D’ÉQUILIBRE ALIMENTAIRE, LES ALIMENTS INDUSTRIELS COMPLETS SONT-ILS SUPÉRIEURS AUX RATIONS MÉNAGÈRES ?

Selon moi, les croquettes ont été, le temps d’une parenthèse de quarante ans, une réponse réductionniste à ce que devrait être la nutrition pour les chats. Car la nutrition est en fait une science très complexe. Le diktat qui s’est imposé est celui de l’équilibre alimentaire pour les 50 nutriments qui composent les aliments. Or, un aliment n’est pas une simple somme de constituants. C’est un ensemble de macro et micro-nutriments qui interagissent entre eux (en synergie) et avec le milieu digestif. À cet égard, l’eau (et son absence dans les croquettes) est loin d’être un détail pour la santé des chats. En outre, les excès de glucides ou acides aminés d’origine végétale ne sont probablement pas neutres dans la survenue de désordres fonctionnels rencontrés chez le chat. Assurément, l’efficience nutritionnelle de l’alimentation sèche est loin d’être optimale.

L’alimentation ménagère à base de viande pour nourrir son chat est une alternative valable, même si certains déséquilibres peuvent parfois être relevés. Au passage, la seule façon d’objectiver un déséquilibre alimentaire serait de recourir à des analyses sanguines témoignant d’un excès ou d’une carence. Cela n’est jamais fait. Vous autres, humains, vous souciez-vous de manger chaque jour votre quota de manganèse ou de cuivre ? Quid de la carence généralisée des humains en Vitamine D ? Enfin, confectionner des rations ménagères pour son chat ne relève pas d’une alchimie savante. Il y a fort à parier que la généralisation de telles pratiques ne soit pas vue d’un œil favorable par les différents acteurs de l’industrie du petfood. D’où la multiplication des messages alarmants : « Vous exposez votre chat à des carences et des maladies. Vous-même, vous risquez des infections zoonotiques graves ! ». Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Et dans ce cadre là, oui, je pense que les rations ménagères sont supérieures aux aliments industriels !

DANS LA DERNIÈRE PARTIE DE VOTRE LIVRE, VOUS VOUS INSURGEZ CONTRE LE RECOURS TROP FACILE DE VOS CONFRÈRES (ET CONSOEURS) À LA « SOLUTION CROQUETTES » POUR AMÉLIORER LES AFFECTIONS RENCONTREES PAR LES CHATS. NE CRAIGNEZ-VOUS PAS LES CRITIQUES DE VOTRE PROFESSION ?

 

Beaucoup de mes confrères et consœurs sont convaincus des bienfaits de leurs produits, et il y a peu de chance que mon livre attire leur attention. Et si leurs compétences en diététique féline sont parfois sommaires, beaucoup d’entre eux sont d’excellents médecins et chirurgiens. Ils considèrent seulement la diététique comme une discipline secondaire. Mais si par hasard mes argumentations les étonnent, il faut qu’ils sachent que mes propos s’appuient sur l’expérience et les témoignages de vétérinaires de renommée mondiale en médecine féline. C’est en m’inspirant d’eux que j’ai peu à peu affiné ma façon d’appréhender les « challenges » nutritionnels que nous imposent les chats, surtout lorsqu’ils sont malades. Dans mon livre je cite notamment:

– Elisabeth Hodgkins (vétérinaire félin directrice technique pendant plus de dix ans chez Hill’s, un des plus grands fabricants mondiaux d’aliments: « Si votre chat est diabétique et mange des croquettes, arrêtez tout de suite ! »

– Vic Menrath, le grand-père de la médecine féline en Australie, précurseur en matière de greffes rénales chez le chat depuis 1995: « Les chats insuffisants rénaux vivent plus longtemps et conservent un aspect moins misérable, lorsqu’ils sont nourris avec de la viande crue, la plus grasse possible, du foie, une fois par semaine et un complément en vitamines B. »

– Richard Malik, un des plus éminents vétérinaires félins au monde actuellement, qui ose dénoncer les conflits d’intérêts entre les entreprises commerciales et les universités, ainsi que le manque de subsides accordés à la recherche indépendante en matière de nutrition féline.

Je le répète, la base de la science c’est l’observation. Et pour cela, il suffit parfois seulement d’ôter ses œillères… pour se rendre à l’évidence ! 

FINALEMENT, PENSEZ-VOUS COMME VOTRE CONSOEUR LE DR SYLVIA MORAND QUE 50 À 60 % DE VOS CONSULTATIONS SON LIÉES À LA MALBOUFFE POUR LES CHATS QUE VOUS SOIGNEZ ?

C’est 100 % de mes consultations qui font l’objet d’une évaluation critique des pratiques alimentaires adoptées par les propriétaires pour leur chat ! Toutefois, mis à part les chats nourris au « tout croquettes », il s’agit le plus souvent d’un recadrage à la marge.

Lors des consultations préventives (vaccinations), l’alimentation des chats est le sujet qui préoccupe le plus les propriétaires. Et je suis impressionné par le nombre de propriétaires qui me disent d’années en années « pour l’alimentation, j’applique vos conseils… 100 g de pâtée par jour et 30 g de croquettes maximum ». Et force est d’admettre, en toute modestie, que ces chats ne souffrent ni d’obésité ni de troubles urinaires. Et cela sans avoir faim à longueur de journée ! Mais tous les chats que je soigne ne sont pas passés entre mes mains depuis leur plus jeune âge… il m’arrivent donc de traiter aussi des cas d’obésité morbide, de diabète, de lipidose hépatique, de chats bouchés…

Attention tout de même, car on a parfois tendance à incriminer trop rapidement la malbouffe dans la survenue de certaines affections. Lorsque le Dr Jutta Ziegler écrit dans son livre « Toxic Croquettes » que les glucides des croquettes provoquent des insuffisances rénales chez le chat, c’est un raccourci que je ne prendrai pas… et qui est probablement faux, dans la grande majorité des cas ! Néanmoins, je suis d’accord sur le fait que les croquettes ne conviennent pas à une prise en charge alimentaire optimale pour les chats souffrant déjà d’insuffisance rénale.

Enfin, il est un domaine où les preuves manquent mais pour lequel la malbouffe industrielle semble indéniablement impliquée, c’est la progression galopante des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Les connaissances sur le métabolisme du chat et son microbiote intestinal amèneront certainement les industriels à infléchir à l’avenir leur position quant au problème des glucides. Quant à celui de l’eau, il est largement partagé par les majors du petfood, et il ne se passe plus un congrès international où l’alimentation du chat ne soit envisagée autrement que sous l’angle de la bi-nutrition. Les principales résistances sont dans les cerveaux des propriétaires mal informés, des professionnels… et des chats eux-mêmes, parfois !

Dessin Eric Ronceray