Controverse en nutrition féline (1)

Vous l’avez constaté, mon blog a hiberné longuement. Vous avez certainement mis à profit cette dormance pour déguster mon excellent livre « Pour en en finir avec les croquettes pour chats ! ». Je reviens aujourd’hui avec une première série d’articles en réaction à une publication sur la nutrition des chats, parue en Septembre 2020 dans l’éminent recueil de référence Veterinary Clinics of North America. La section qui me fait réagir est intitulée « Mythes et idées fausses en rapport avec la nutrition féline » (1).

En 2021, les spécificités nutritionnelles du chat en rapport avec son régime carnivore ne sont plus remises en question par les nutritionnistes de l’industrie du Petfood. Toutefois, ces derniers ont parfois tendance à balayer d’un revers de main arrogant la controverse avec leurs détracteurs, qui ne partagent pas leur « philosophie » de l’alimentation industrielle pour les chats, celle-là même qui tente de concilier trois types de santé: celle des chats,  celle de notre planète, et celle, financière, de ces grands groupes agroalimentaires transnationaux. Pour ce dernier point, les résultats sont excellents.

L’objet de ces articles n’est pas de contester la justesse des propos du Dr LAFLAMME,  nutritionniste vétérinaire et chercheuse ultra-compétente, mais plutôt de pointer le dogmatisme de ses thèses, assénées comme des vérités scientifiques incontestables, ce qui est le propre du discours idéologique. Car ces vérités n’englobent pas toute la réalité. Elles sont réductionnistes, c’est à dire qu’elles ont tendance à réduire des phénomènes complexes à leurs composants les plus simples et à considérer ces derniers comme plus fondamentaux que le but recherché en nutrition préventive à savoir: permettre aux chats de vivre le plus longtemps possible, et sans maladie chronique.

Premier point de controverse: la digestion et l’assimilation des protéines végétales

« Les chats ne peuvent pas digérer ni utiliser les protéines végétales. » C’est le premier mythe remis en cause, et l’on comprend aisément que la problématique est de taille. En effet, pour préserver notre planète du réchauffement climatique et sauvegarder la biodiversité, il convient de trouver des alternatives aux protéines animales. La réponse de l’expert est la suivante: les protéines végétales issues du soja ou des glutens de céréales peuvent être rendues très digestibles par les procédés de cuisson industrielle modernes. Et même si ce sont des protéines dites incomplètes (déficitaires pour un ou plusieurs acides aminés indispensables), elles peuvent constituer une excellente base pour l’apport en protéines alimentaires pour les chats. Il suffira alors tout simplement de complémenter les aliments au cours de leur fabrication avec les acides aminés indispensables manquants comme la taurine ou la méthionine… des acides aminés de synthèse.

Les protéines végétales de médiocre qualité pour les chats

Ce sont les acides aminés soufrés et plus particulièrement la méthionine, qui sont les facteurs limitants des produits végétaux (pour les légumineuses surtout, car les céréales en contiennent davantage). Or, la méthionine est cruciale pour les chats. C’est le point de départ d’une soixantaine de réactions métaboliques, dont la fameuse néoglucogénèse. C’est aussi un précurseur de la cystéine (protéine des poils), de la taurine et de la félinine (phéromone indispensable au marquage urinaire). http://dietetichat.info/pourquoi-votre-chat-ne-sera-jamais-veggy/

On garantit ainsi que les aliments à base de protéines végétales sont complets et équilibré. Mais ça, c’est la théorie. Car en pratique, cette complémentation s’avère fréquemment défectueuse, comme en témoigne des analyses indépendantes auxquelles les fabricants ne sont pas tenus de soumettre leurs produits (2).  De plus, peut-on garantir que cette soupe industrielle ultra-transformée est saine pour nos matous ? En effet, la digestibilité des protéines végétales reste médiocre. Et même si on les soumet à un trempage et une cuisson au préalable, même avec les formes les plus purifiées (isolats), une proportion importante de protéines végétales résistera au processus de digestion. Cela s’explique par le fait que les graines de légumineuses et de céréales sont composées de cellules, encapsulées par une paroi très épaisse et rigide qui rend les protéines inaccessibles aux enzymes de l’estomac (les pepsines). De fait, leur digestion est ralentie comparée à celle des protéines animales.

Le chat a besoin de protéines à digestion rapide

Or, le chat a besoin de protéines à digestion rapide, car son intestin grêle est très court, comme chez tous les carnivores. Finalement, une partie importante de ces protéines, difficilement quantifiable, ne sera pas absorbée et arrivera intacte dans les parties terminales de l’intestin. Au mieux, la digestibilité des protéines végétales sera inférieure de 10 % à celles des protéines animales.

De plus, quid des acides aminées inutiles à l’organisme du chat? Ces acides aminés, en grand nombre dans les protéines végétales, ne pourront ni être utilisés pour la fabrication des protéines structurelles, ni recyclés pour fabriquer du glucose (le substrat énergétique cellulaire) grâce à la néoglucogénèse. Le recours à des protéines végétales est probablement responsable d’un gaspillage énergétique et azoté important. Et cela sera d’autant plus préjudiciable à votre chat que son appétit sera par ailleurs diminué (chat âgé, insuffisant rénal…). A cela s’ajoute aussi le fait que les protéines végétales sont moins appétentes que les protéines animales. Par précaution, il faudra donc éviter les aliments riches en protéines végétales dans les situations où l’appétit de votre chat est compromis.

Deuxième point de controverse: la digestion et l’assimilation des amidons

« Les chats ne peuvent pas digérer ni utiliser les glucides. » C’est le second mythe. Là encore, on comprend bien l’intérêt de la question. Si on peut substituer à une partie du carburant énergétique originel du chat, les protéines (qui sont « transformées » en glucose via la voie métabolique privilégiée des carnivores, la néoglucogénèse) avec un carburant moins cher et qui en plus préserve la planète, c’est tout « bénef » ! L’expert concède les spécificités métaboliques du chat (« aveugle » au goût sucré, équipement enzymatique déficient pour la digestion des glucides…). Toutefois, là encore, le traitement technologique des amidons (cuisson, extrusion) permet de les rendre digestibles à plus de 80 % chez le chat. Au point que l’amidon des croquettes est rendu aussi biodisponible pour le chat que le sucre que vous mettez dans votre café !

Effectivement, la cuisson affecte la matrice des amidons, c’est à dire la structure et l’architecture tridimensionnelle de ces polymères de glucose. Ils se gélatinisent, ce qui favorise l’accès et le traitement par des enzymes digestives (disaccharidases). Lorsque des aliments « sucrés », que ce soit des céréales, des légumineuses ou des fruits, sont ainsi transformés, on rend davantage assimilable (biodisponible) le glucose qui les composent. Cela a été largement démontré par des études in vitro.

Oui, mais les chats n’ont pas besoin d’autant de sucres

Cette optimisation de l’assimilation du glucose par l’organisme des chats doit cependant être contrôlée. C’est pourquoi on incorpore surtout des glucides dits « complexes » dans les croquettes « premium ». Leur index glycémique (une notion non avérée en médecine vétérinaire) serait ainsi réduit. Et le glucose dont la libération a été favorisée par la cuisson, passera dans le sang de façon plus graduelle… Magie ! Ceci n’est absolument pas démontré chez le chat. Soit le glucose reste enfermé dans des structures moléculaires complexes (réseaux de fibres glucidiques ramifiées, cellulose, hémicellulose, pectines), alors il n’est pas digéré par le chat et il ira nourrir la flore bactérienne (bénéfique ?) du gros intestin. Soit il est rendu assimilable de façon quasi-complète et rapide au niveau de l’intestin grêle. Or, les chats n’ont pas besoin d’autant de sucres. Alors dans ce cas, peut-on alors parler de bénéfice pour la santé des chats ?

Ces nouveaux ingrédients à la mode

L’ultra-transformation des aliments autorise l’incorporation d’ingrédients que le chat ne mangerait jamais naturellement, sans parler des additifs.

Quelles sont donc les nouveaux ingrédients à la mode, qui doivent vous interpeler ? En premier lieu, la star… le soja. C’est la principale source de protéines végétales dans l’alimentation animale. Pourtant, le soja contient de nombreux facteurs anti-nutritionnels, dont un non négligeable, la lectine… du gluten à la puissance dix ! Les plantes fabriquent les lectines pour se protéger des prédateurs, omnivores ou herbivores. Le chat, qui lui ne mange pas de végétaux à l’état naturel n’était pas visé, mais de fait il n’est pas épargné. Ainsi, trop de lectines peuvent favoriser la libération d’histamine, une réaction inflammatoire toxique qui perturbe la barrière intestinale en la rendant plus perméable.

D’autres légumineuses ont le vent en poupe, comme les pois ou des lentilles. Leur teneur élevée en protéines et leur amidons à faible index glycémique sont plébiscités chez l’homme. Toutefois, la cuisson-extrusion des légumineuses est moins efficace pour améliorer la digestibilité des glucides qu’ils renferment. Ils sont bien moins bien digérés (et digestes) que l’amidon contenu dans les céréales. C’est d’ailleurs ce qui les rend intéressant dans l’alimentation des humains qui ont un diabète de type 2.  Enfin, comme le soja, ces autres légumineuses récèlent des facteurs anti-nutritionnels, les saponines, les facteurs anti-trypsiques, l’acide phytique, la vicine-convicine…

Finalement, sans une cuisson forte qui détruit une grande partie de ces toxiques potentiels, les légumineuses (dont le soja) ne seraient pas consommables par un chat.

Méfiance chez les chats dits « sensibles »

Il est d’usage, à tort, de transposer les données de l’alimentation humaine à la nutrition des carnivores. A mon tour, permettez-moi d’utiliser ce biais pour étendre le débat à la santé des chats. Ainsi, il est à signaler que les légumineuses comme les pois ou les lentilles, sont peu consommés par les personnes souffrant de troubles fonctionnels du côlon (colopathie fonctionnelle). Or, s’il est une pathologie émergente chez les chats « modernes », c’est bien les M.I.C.I. L’acronyme M.I.C.I. signifie communément Maladie Inflammatoire Chronique de l’intestin, mais l’adjectif « chronique » est désormais remplacé par « cryptogénique »… de cause inconnue ! Bien entendu, un lien de causalité entre ces aliments et l’incidence croissante de cette affection chez le chat ne peut être établi. Mais on peut s’interroger sur la pertinence d’incorporer de tels ingrédients pour ces chats dits « sensibles ».

Dans le syndrome de l’intestin irritable de l’homme, on conseille de limiter les végétaux. Le blé, l’orge, la betterave, les légumineuses, les fruits, sont regardés avec méfiance.  Les composant en cause dans les troubles digestifs ressentis par les sujets humains sont les FODMAP (traduction française: « oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentescibles par la flore intestinale »). Ce sont des dérivés glucidiques de petite taille, très peu absorbés dans l’intestin grêle, mais fermentescibles dans le gros intestin, et sans bénéfice pour la flore intestinale.

Ultra-transformé ne rime pas avec santé?

L’assimilation des amidons et des protéines végétales n’est donc possible qu’après des traitements technologiques agressifs. Malheureusement, ceux-ci ont pour effet de déstructurer totalement la matrice des aliments. Et au lieu de se compléter avantageusement (effet synergique), les nutriments qui les composent perdent une grande partie de leur potentiel « santé » dans le magma moléculaire obtenu.

On sait notamment que les traitements thermiques (cuisson-extrusion) des graines neutralisent leur potentiel antioxydant tant vanté chez l’homme pour les fruits et légumes.

De plus, il semble qu’ils augmentent le potentiel alcalinisant des aliments. C’est un souci non négligeable pour les chats, que l’on expose davantage à la fameuse « vague alcaline ». Cette alcalinisation métabolique est amplifiée quand un chat ne fait qu’un ou deux gros repas par jour. Cela est propice à la formation des calculs urinaires de struvite. D’où l’usage généralisé de complémenter les aliments industriels avec des acidifiants chimiques. En fait, ce phénomème est principalement rencontré avec les régimes alimentaires riches en glucides, comme les croquettes. On n’observe pas cela avec les pâtées ou les rations ménagères.

Il a aussi été démontré chez l’homme que les traitement thermiques forts (type extrusion comme pour les croquettes) diminuent d’environ 20 % le potentiel lipotropique des produits alimentaires d’origine végétale (limitation de l’accumulation de graisses dans le foie). Or les croquettes « premier prix », riches en glucides et carencés en protéines de qualité, sont souvent impliquées (d’après mes observations personnelles) dans la survenue de la lipidose hépatique qui affecte les chats.

Enfin, l’impact négatif de ces glucides ultra-transformés sur la satiété est clairement démontré chez l’homme. Cela constitue un facteur de risque majeur d’obésité.

Pour conclure…

De ces deux premiers points de controverse, il faut surtout retenir que l’argumentation de l’auteure se cantonne à l’étage digestif. Or le chat n’est pas un simple tube digestif. L’article n’aborde aucunement le devenir de ces amidons et de ces protéines végétales dans l’organisme. Atteignent-ils  leur « cible organique » afin de réaliser leur potentiel santé attendu ? Sont-ils absorbés à la bonne vitesse ?  Prennent-ils la bonne voie métabolique ou sont-ils détournés, avant d’être éliminés ? Ensuite, tous ces nutriments végétaux ultra-transformés ne comportent-ils pas une part de toxicité ? Comme tout xénobiotique, au même titre que les médicaments ou les pesticides, il génèrent des déchets métaboliques qu’il importe de mieux connaître. Ainsi, on a pu observer récemment une recrudescence des cas de cardiomyopathie dilatée chez le chien, en rapport avec la consommation d’aliments riches en légumineuses (3).

La question principale est donc : « Ces nutriments non naturels ne favorisent-ils pas la survenue des affections chroniques qui touchent de plus en plus nos chats depuis quelques décennies ? » Par manque de preuves, ces questions continueront d’être contestées. Mais avec les prochains articles, nous irons encore plus loin pour « alimenter » ces sujets de controverse.

Références

  1. Dottie P. Laflamme – Understanding the Nutritional Needs of Healthy Cats and Those with Diet-Sensitive Conditions – Vet Clin Small Anim 50 (2020)
  2. Kanakubo and al. Assessment of protein and amino acid concentration and labeling adequacy of commercial vegetarian diets formulated for dogs and cats. JAVMA 2015.
  3. Sydney R Mc Cauley et al – Review of canine dilated cardiomyopathy in the wake of diet-associated concerns – Journal of Animal Science (2020).

Le contrôle de la satiété chez le chat

Le contrôle de la satiété permet de prévenir l’obésité, mais pas de la soigner.

Le contrôle de la satiété est au coeur de la problématique de l’obésité du chat. Ainsi, certains chats semblent pouvoir consommer en quelques minutes leur quota de calories quotidiennes. Alors que d’autres, ayant un accès permanent à la nourriture, parviennent à se réguler et sont de ce fait épargnés par l’obésité. Ce dysfonctionnement dans le contrôle de la prise alimentaire est loin d’être entièrement élucidé. En effet, la régulation de la satiété est un processus très complexe qui concerne autant l’estomac que le cerveau.

Glouton ou boulimique.

Contrôler les facteurs influençant la satiété suppose au préalable d’identifier la séquence comportementale défaillante chez votre chat.

Certains chats sont manifestement en proie à une gloutonnerie comparable à celle de Garfield. Ils mangent de façon excessive, comme s’ils ne sentaient pas leur estomac se remplir. Ils donnent l’impression de ne pas percevoir de signal pour s’arrêter de manger. Là, c’est la satiété intra-repas (ou rassasiement) qui est inopérante. Cette situation est certainement la plus simple à régler. Il suffira de jongler entre différentes mesures nutritionnelles bien connues, portant sur le rationnement, le contrôle calorique, l’appétence ou le profil en macro-nutriments des aliments consommés.

Par contre, pour d’autres chats, c’est la satiété inter-repas qui est défaillante. Ces affamés n’ont de cesse de réclamer entre les repas. A peine l’estomac rempli, il ne décolle pas de vos jambes en vous guidant vers la cuisine. S’ensuit la sérénade de miaulements monocordes qui achève de vous scier les nerfs. Lutter contre ce trouble obsessionnel compulsif est une véritable gageure. ll faut parvenir à tromper le cerveau de votre chat avec des stratégies le souvent non alimentaires.

Mettez-le à l’eau…

A plusieurs reprises, dans mes articles précédents, j’ai pris le raccourci d’affirmer que les protéines et l’eau étaient les principaux contributeurs à la satiété des chats. Allons plus loin.

En fait, plus un aliment contient d’eau, plus il contribue la sensation de remplissage et de distension de l’estomac. Au delà d’un certain seuil, qui correspondrait au volume d’une souris selon certains, un inconfort digestif commence à s’installer (ballonnement, nausées…). C’est la satiété intra-repas.

D’un point de vue évolutif, les  chats ne sont pas adaptés aux modifications extrêmes de la nourriture industrielle. Les chats « modernes » (comme les humains) évaluent très mal la densité énergétique (kcal/g) des aliments qu’ils ingèrent. Surtout lorsque celle-ci est très éloignée de leur alimentation originelle. Autrement dit,  30 g de viande et 30 g de croquettes procurent la même sensation de satiété à votre chat.

Il est donc crucial de privilégier les aliments humides, dont la teneur en eau se rapproche ce celles des proies du chat dans la nature.

… et aux protéines.

Il est communément admis que les protéines ont un pouvoir satiétogéne puissant. Mais pour cela, il faut que le taux de protéines soit bien supérieur aux 30 % présents dans la majorité des croquettes. Pourquoi ?

Le premier mode d’action avéré fait intervenir des cellules présentes dans l’estomac et l’intestin grêle, qui « sentent »  la présence de protéines (1). Un signal serait alors émis dès le début du repas et directement communiqué au cerveau, et amplifié par le pancréas.

En outre, il est envisageable que la vitesse d’apparition des acides aminés dans le sang puisse aussi jouer le rôle de signal. C’est le concept de protéines «lentes» et «rapides». Les aliments liquides là encore semblent plus efficaces. Car le temps de transit des protéines dans l’estomac est supérieur en présence d’un aliment solide. En outre, les protéines « industrielles » sont partiellement dénaturées par la cuisson, ce qui ne signifie pas qu’elles soient indigestibles ou moins bio-disponibles. Mais l’agrégation des protéines les rend moins accessibles aux enzymes digestives (protéases), d’où une libération plus tardive des acides aminés.

Finalement,  les pâtées ou la « vraie » viande sont à privilégier pour la satiété, en raison leurs teneurs idéales en eau et en protéines.

Les solutions peu concluantes sur la satiété

C’est le cas des régimes riches en fibres. Intuitivement, on pourrait penser que les fibres contribuent à la satiété comme l’eau, du fait de la distension de l’estomac qu’elles occasionnent. Même les spécialistes de Royal Canin sont dubitatifs: « Leurs effets sur le rassasiement et la satiété sont assez mal décrits (…) Selon certains chercheurs, les fibres n’auraient aucun intérêt particulier pour la satiété avec une alimentation diluée en énergie et riche en humidité. » (2). Autrement dit, le régime pâtée – courgettes a peu d’intérêt.

Les aliments riches en matières grasses ont un effet moins puissant que les protéines sur le contrôle de la satiété. Bien sûr, les aliments trop gras sont déconseillés. Toutefois, on constate que les aliments humides pour chats du commerce qui sont généralement riches en graisses, ne sont pas un facteur de risque d’obésité, au contraire.

Enfin, toutes ces mesures ont leur limite car leur effet est souvent transitoire. L’organisme « apprend » à contourner les multiples signaux de satiété, pour finalement rétablir son apport calorique habituel. Pour lui, l’important est de protéger son capital, sa réserve de tissu adipeux. C’est cette réserve de graisse qui a permis au chat de s’adapter aux périodes d’abondance et de disette pendant des millénaires. En s’attaquant à elle, on enclenche une cascade de réponses physiologiques qui s’opposent à tout régime restrictif.

Tromper le cerveau de votre chat.

Alors comment aller plus loin ? Comment réduire la prise alimentaire sans exciter la faim et stimuler les défenses biologiques ?

La faim reste la maîtresse du jeu. Une première solution consiste à jouer sur les volumes. Lorsqu’un chat ne mange que des croquettes, l’introduction d’un aliment humide pour remplacer une fraction de ses croquettes semble temporairement apaiser sa faim. Cela oblige à peser et rationner les croquettes de façon stricte. Car paradoxalement, la multiplication du nombre de sources alimentaires laissés à disposition, est  aussi responsable d’une moins bonne régulation de la satiété et des calories ingérées (2).

Pour un effet durable, il est préférable par la suite de ne conserver que l’alimentation humide. Les apports journaliers seront répartis sur trois ou quatre repas.  Vous pourrez alors diminuer petit à petit la taille de chaque repas. Car l’organisme de votre chat « accepte » mieux les changements minimes.

Personnellement, j’ai constaté qu’un mélange de pâtée avec de la viande maigre (ou poisson) donnait les meilleurs résultats sur la satiété, dans le cadre d’un régime hypocalorique. Mais si votre chat continue malgré tout de réclamer, vous pouvez lui concéder quelques croquettes en votre présence, distribuées comme des gourmandises.

Apaiser le cerveau de votre chat.

De nombreuses zones du cerveau sont impliquées dans le contrôle de la prise alimentaire. Plusieurs études ont révélé l’importance du système limbique, ou cerveau émotionnel.

Les chats inactifs ou vivants en appartement ont un risque d’obésité plus grand. Mais ce n’est pas tant l’activité physique qui est en cause, c’est le cerveau. L’un subit les effets de l’ennui et du stress en milieu clos, alors que l’autre s’adonne à la méditation contemplative, reluque ce qui se passe chez le voisin ou torture à l’envie un rongeur de passage. La solution est donc de multiplier les enrichissements dans l’environnement de votre chat, les occasions de jeu, les interactions avec vous, « leur humain », ou d’autres animaux.

Et la résolution la plus pertinente sera de changer sa vaisselle de table. Oubliez définitivement les gamelles pour les croquettes. Ainsi, pour en finir avec la routine et la monotonie, adoptez les « food puzzles » pour chats ! Cette solution offre le double avantage de préserver la santé physique (risque d’obésité) et  mentale de votre chat. En effet, les chats ont conservé leur instinct naturel de travailler pour manger. Avec cette variante ludique, vous trompez la faim de votre chat car « il mange plus lentement ». De plus, votre chat éprouve le plaisir que lui apporterait une authentique partie de chasse. Les endorphines libérées dans son cerveau contribueront à sa sensation de bien-être, de détente et de relaxation. Juste assez pour accepter, au passage, une petite restriction du nombre de croquettes journalières.

Avec ces nouveaux jeux, les résultats sont parfois miraculeux. Les chats retrouvent le goût de jouer. Mais surtout, on observe une diminution des troubles psycho-somatiques et comportementaux liés au stress, de la boulimie en particulier. Enfin pour vous, c’est l’occasion d’exprimer toute votre inventivité et votre créativité  en « détournant » quelques objets voués au rebut (http://www.foodpuzzlesforcats.com/homemade-puzzles).

La microflore intestinale et le cerveau « marchent » ensembles

L’idée que la microflore intestinale soit impliquée dans les troubles de l’humeur, les comportements dépressifs, et le stress est corroborée par l’observation et plusieurs études sur l’homme et les animaux. Ce nouveau domaine scientifique s’appelle la psychobiotique… appliquée aux chats, bien sûr.

Bon nombre de propriétaires me rapportent une réduction significative des comportements liés à l’anxiété de leur chat, après avoir modifié leur régime alimentaire. Une fois de plus, le passage à la bi-nutrition mais encore davantage à l’alimentation hybride, se révèle bénéfique. Comment l’expliquer ? Il est probable que l’incorporation significative de viande crue ou légèrement cuite induise un changement positif dans la composition de la microflore. Certaines souches bactériennes (Lactobacillus notamment) auraient la propriété de produire des neurotransmetteurs (GABA), ou d’augmenter la production de sérotonine par l’intestin.  Ces deux « hormones du bonheur » ont des effets positifs sur la dépression et l’anxiété. Sur le long terme, ce mécanisme participerait à l’effet satiétogène de la viande pour les chats.

Comme chez l’homme, les études scientifiques portant sur le microbiote intestinal du chat sont encore peu nombreuses. Néanmoins, une étude pilote a été menée et confirme que la microflore des chats obèses ou en surpoids semble altérée, par comparaison avec celle de chats minces (3). Il est probable que cette altération soit la conséquence d’un régime alimentaire favorisant l’obésité. Et selon moi, le régime « tout-croquettes », hyper-glucidique, explique ces modifications négatives de la microflore du chat.

Satiété et obésité: les maux de la faim.

Inversement, cette flore intestinale « industriellement » modifiée participe certainement à la résistance de l’organisme aux régimes alimentaires restrictifs prescrits aux animaux obèses. Le contrôle de la satiété permet  de prévenir l’obésité, mais pas de la soigner.

D’ailleurs, les spécialistes nutritionnistes partagent ce constat d’échec, tout en rejetant la responsabilité sur les propriétaires. « Actuellement, le traitement de choix de l’obésité canine et féline est la restriction alimentaire associée à des mesures destinées à augmenter l’activité physique. Ce traitement est souvent inefficace du fait de la mauvaise observance des propriétaires confrontés à des démonstrations de faim et/ou de baisse de la satiété de la part de leur animal » (2).

Mais ils travaillent sur de nouvelles pistes, l’adjonction de « médicaments à effet satiétogène qui pourraient être des mimétiques ou des agonistes des signaux de satiété » (2).  No comment !

Le contrôle de la satiété est au coeur de la problématique de l’obésité du chat.

Dessin Philippe Bernard.

Références:

(1) GILOR . et al – New Approaches to Feline Diabetes Mellitus: Glucagon-like peptide-1 analogs –  J Feline Med Sur (2016)

(2) Robert C Backus – Contrôle de la satiété – WALTHAM Focus (2006)

(3) Kieler IN et al.  Overweight and the feline gut microbiome a pilot study.  J Anim Physio Anim Nutr (2016)

Faut-il avoir peur de la viande pour les reins des chats ?

Aucune étude n’a pu montrer que les protéines alimentaires apportées par la viande sont toxiques pour les reins des chats.Très en vogue, les régimes hyper-protéiques ont des vertus incontestables chez l’homme. Notamment, ils permettent un meilleur contrôle du poids. Plusieurs études bien documentées le confirment, mais elles pointent aussi les risques potentiels pour le squelette et la fonction rénale.

Toutefois, le chat est un hypercarnivore, et manger de la viande pour lui n’est pas une simple mode, c’est un usage. De plus, son squelette semble à l’abri des fractures du col du fémur, qui ne concernent que les chats « parachutistes ». Cependant, il est de notoriété publique que les reins sont le point faible des chats, surtout en vieillissant. Alors est-il judicieux de limiter le recours à la viande pour prévenir ce risque ?

Continuer la lecture de Faut-il avoir peur de la viande pour les reins des chats ?