Controverse en nutrition féline: les glucides (2)

Parmi les idées fausses les plus communes, il y a la croyance selon laquelle l’excès de glucides dans les aliments industriels est responsable de l’obésité des chats (Dr D Laflamme) 1-2 .

Vrai ou faux, c’est en tout cas un point de controverse crucial, qui plaiderait contre le modèle « tout croquettes » pour l’alimentation des chats. Dans cet article, je tente de répondre le plus objectivement possible à cette question. Là où les experts assènent des certitudes, je tente de démontrer qu’il est légitime de douter de leurs arguments scientifiques.

Le régime carnivore strict du chat serait flexible…

Les proies des chats sauvages se composent majoritairement de protéines. Elles représentent 52 à 63 % des calories journalières ingérées, pour seulement 3 % de glucides. Le chat domestique peut très bien vivre avec un régime zéro glucide (proche de son régime ancestral), car le glucose n’est pas pour lui un nutriment essentiel. Il le fabrique à partir des protéines et des graisses alimentaires (néoglucogenèse).

A l’inverse, le chat pourrait aussi s’accommoder de croquettes « premier prix » composées de 60 % de glucides, et ceci sans risque pour sa santé. Pour cela, les apports protéiques doivent se situer au dessus du minimum vital, défini par la NRC, à savoir 1,5 g de protéines par kg de poids pour un chat adulte3. Dans ces conditions, le métabolisme s’adapte à des niveaux restreints de protéines, en brûlant moins de protéines pour la fabrication du glucose.

En fait, l’étude qui établit cela démontre uniquement que pendant la durée limitée de l’expérimentation (5 jours), les chats soumis à un déficit temporaire en protéines (comme cela peut se produire dans la nature), et à condition que tous les acides aminés indispensables soient présents en quantité largement suffisante, n’ont présenté aucune modification de leur état de santé. Et tant mieux, car cette flexibilité métabolique constitue un mécanisme de secours destiné à pallier aux aléas alimentaires. Mais, aucune étude à long terme ne démontre l’absence d’impact négatif de régimes aussi pauvres en protéines.

Le chat préfèrerait même les glucides…

Les vrais besoins en protéines des chatLa principale faiblesse de l’édifice théorique de l’alimentation du chat réside dans la détermination précise de ses besoins en protéines (http://dietetichat.info/normes-nutritionnelles-chat/). En effet, il désormais admis (par l’auteure aussi) que l’estimation du minimum protéique de 1,5 g / kg de poids (la norme NRC) est erronée. Le besoin protéique est au moins 3 fois supérieur, soit 5 à 7 g de protéines / kg de poids, ou encore 35-50 % des apports caloriques journaliers. Ce niveau d’apport permet le renouvellement régulier des protéines constitutives des tissus organiques (turn-over), la production d’anticorps (dérivés protidiques) et le maintien de la masse musculaire. Enfin, le fait de disposer d’un pool suffisant d’acides aminés libres permet une adaptation métabolique rapide pour faire face à des changements nutritionnels ou physiopathologiques (maladie, vieillissement). Et l’espérance de vie en bonne santé n’en sera que plus longue pour ces chats.

A l’état naturel, le chat est capable d’équilibrer instinctivement et précisément son régime, lorsque les ressources alimentaires sont suffisantes. Ainsi, le chat disposerait d’un « compteur à protéines » qui l’amène à consommer une quantité cible de protéines qui correspond à 50 % de ses calories journalières, 52% pour être précis4. Autrement dit, lorsqu’il dispose d’un buffet à volonté, le chat tentera d’assouvir en priorité son besoin protéique avant son besoin calorique. Cette cible protéique est une des plus élevée du monde animal. Elle n’est que de 25 à 35 % pour les chiens et seulement 15 % pour l’homme. Ceci est le fruit du travail de deux chercheurs australiens, qui ont prouvé que tous les animaux, de la sauterelle au kangourou, s’arrêtent de manger quand leur besoin en protéines est satisfait5.

Mais à l’inverse, qu’observe-t-on quand la nature est moins généreuse, et que l’environnement alimentaire propose trop peu de protéines ? Et bien l’animal continue de manger toujours davantage pour se rapprocher sa cible protéique, quitte à devenir obèse. Cette règle est générale dans les conditions naturelles. Et lorsque l’environnement alimentaire d’une espèce animale change de manière définitive, de façon trop brusque ou trop extrême, cela expose à une extinction de l’espèce dans certains cas, à des crises sanitaires dans les cas les plus favorables (maladies chroniques, morts prématurées…). C’est ce que nous constatons avec l’épidémie de chats obèses nourris avec les croquettes. Les croquettes pour chats sont composées en moyenne de 36 % de protéines, soit moins de 32 % des calories d’origine protéique 2. C’est très loin de leur cible protéique de 50 %. Et finalement, le principal facteur de risque d’obésité des chats serait la carence relative en protéines, et pas l’excès de glucides.

Comment expliquer que les chats apprécient, voire préfèrent, cette alimentation artificielle riche en glucides à laquelle leur organisme est mal adapté ? C’est un fait, comme le prouve cette expérience menée par le fabricant Hill’s. Une vingtaine de chats se sont vus proposer quatre formulations différentes de croquettes qui contenaient entre 35 et 52 % de glucides. Résultat: les chats n’ont pas unanimement préféré la formulation la plus protéique, mais parfois même la plus glucidique ! Cette étude ne remet pas en cause la préférence des chats pour les protéines, mais fait seulement la démonstration qu’il est possible de duper l’instinct d’un l’animal lorsqu’on lui offre un aliment ultra-transformé. Je vous rappelle qu’il est admis que les chats sont « aveugles » pour le goût sucré. Une des explications est que lorsque la densité calorique d’un aliment est très éloignée de celle de l’alimentation naturelle, les mécanismes de régulation de l’appétit sont inefficaces (400 kcal / 100 g de croquettes versus 125 kcal / 100 g de souris). Personnellement, si on me donnait le choix entre des chips de pommes de terre et des chips protéinées ( à base de soja), il est probable que ma préférence ira vers les premières, pourtant moins « saines ».

Les spécificités métaboliques des chats pour les glucides

Les aliments industriels permettent donc de faire avaler aux chats des quantités importantes de glucides, que les divers traitements technologiques ont rendus parfaitement assimilables (hyperdigestibles) au niveau intestinal (http://dietetichat.info/mythes-controverses-nutrition-feline-1/). Mais au-delà de la barrière digestive se trouve une boite noire qui n’a pas livré tous ses secrets, à savoir le devenir digestif des glucides et leur effet santé chez le chat. Et pourtant, c’est là que se trouve la clé du problème.

Dans le paragraphe « What is the impact of dietary carbohydrates on blood glucose in cats  » de l’article du Dr Laflamme 2, elle fait état des données scientifiques discordantes sur le sujet, du fait de modalités expérimentales complexes et peu reproductibles. Mais plutôt que d’essayer de clarifier les choses, elle donne l’impression de disqualifier préventivement la théorie rivale avec des arguments douteux. Autrement dit, elle nous enfume ! De façon dogmatique, elle justifie que les régimes riches en glucides n’ont pas d’impact négatif pour le chat, car ils ne génèrent pas d’hyperglycémie grave. Pas d’hyperglycémie, donc pas d’effet néfaste sur les cellules du pancréas, et pas de diabète. Et encore moins de lien avec l’obésité. C’est un un peu léger !

Les études les plus récentes utilisent des capteurs cutanés pour mesurer la glycémie des chats, ce qui a l’avantage de limiter le nombre de prises de sang, et les résultats erronés liés au stress (phénomène bien connu chez le chat). Une d’entre elles a permis de préciser ce qui se passe pour des chats en bonne santé et présentant un indice corporel normal 6. Cette étude apporte plusieurs éclairages sur le métabolisme des glucides chez le chat. En premier lieu, il est vrai que le chat utilise davantage de glucose lorsqu’il y a davantage de glucides dans sa ration. Ensuite, en présence de taux de glucides moyens (jusqu’à 36 % de la MS dans cette étude), l’élévation de la glycémie reste minime (0,15 g / L maximum). Par contre, celle-ci peut persister jusqu’à 24 heures (moins de 3 heures pour l’homme ou le chien). Il en est de même pour l’insulinémie.

Cette étude égratigne au passage certaines croyances nutritionnelles, aux conséquences intéressantes pour la gestion alimentaires des chats obèses ou diabétiques. Ainsi, la réponse glycémique selon l’origine des amidons (céréales, légumineuses, patates…) n’est pas modifiée. Alors que chez l’homme, on a tenté de classer ces amidons par leur index glycémique (riz > maïs > orge), on n’observe pas cela chez le chat. Et la présumée supériorité des glucides dits complexes pour le chat (légumineuses, céréales complètes…) est donc sans fondement. C’est pareil pour les fibres alimentaires qui semblent n’avoir aucune influence sur la réponse glycémique. Finalement, les variations de glycémie ont été moindres avec les croquettes modérées en glucides (moins de 30 %) et riches en matières grasses (plus de 20 %).

Aucun glucide ne se perd…

Suivons plus en détail le périple des molécules de glucose fraîchement déversées dans le torrent sanguin. Chez la plupart des mammifères monogastriques, les options sont les mêmes. D’abord, une partie du glucose file directement au cerveau qui est prioritaire. La seconde priorité est de produire de l’énergie directement utilisable. Le glucose subit alors une combustion complète qui libère des molécules énergétiques, c’est la glycolyse. Et s’il reste encore beaucoup de glucose, l’excédent est stocké sous forme de glycogène, c’est la glycogénogenèse.

Chez le chat, la glycolyse est peu performante et les réserves de glycogène sont très limitées. Ainsi, en toute logique, le glucose devrait s’accumuler dans le sang, provoquant une hyperglycémie. Or la glycémie des chats augmente faiblement dans les heures qui suivent un repas (0,15 g de glucose / l). La question est donc: où va tout ce glucose non utilisé ? Et bien, il est tout bonnement converti en acides gras (lipogenèse).

Le sucre qui se transforme en graisses, c’est bien connu ! Chez l’homme, ce mécanisme est normalement responsable de 3% du stock de graisses, le reste provenant directement des acides gras alimentaires. C’est beaucoup plus lorsque son régime est riche en sucre et en fructose. Chez les carnivores, il est probable que cet itinéraire de délestage du glucose soit très vite activé après un repas riche en glucides.

Les glucides: responsables mais pas seuls coupables

Reprenons le cas de notre chat d’intérieur, peu actif, et subissant toute la journée la tentation de son bol de croquettes généreusement rempli. Laborieusement, il tente d’atteindre son quota de protéines journalier. En contrepartie, il satisfait très rapidement son besoin calorique (parfois même en un seul repas). Le glucose s’accumule dans le sang. En réponse, l’insuline amplifie les voies d’utilisation du glucose, que sont la glycolyse et glycogénogénèse. Ces voies métaboliques saturent… et la lipogenèse prend le relais.

Sans limitation des calories qu’il ingère (glucides, protéines ou lipides), notre chat n’a jamais l’occasion de mobiliser ses graisses de réserve. Sa masse graisseuse augmente. Or, chaque kg de poids additionnel réduit l’efficacité de l’insuline de 30 % en moyenne chez le chat. On parle d’insulinorésistance. En réponse, le pancréas accroît son travail pour produire davantage d’insuline (hyperinsulinisme). Le processus de lipogénèse a tendance à s’emballer sous l’effet de l’insuline: plus d’obésité, plus d’insulinorésitance, plus d’insuline produite, plus d’obésité… et diabète, parfois !

En pratique:

– Tant que votre chat est mince et qu’il ne consomme pas davantage que ses besoins caloriques, il peut supporter des taux de glucides allant jusque 40 % des calories ingérées, sans que sa glycémie ne s’en ressente. Toutefois, il est possible qu’une fraction de ces glucides se transforme déjà en graisse au détriment de sa masse maigre. De plus, une insuffisance chronique en protéines risque d’entraver le bon renouvellement de ses protéines organiques, et sa santé à long terme.

– Si votre chat n’est pas en mesure de satisfaire son besoin protéique de 50 % des calories d’origine protéiques, et si par ailleurs il a la possibilité de manger à sa faim, il consommera plus de calories que nécessaire pour lui. C’est le cas lorsque vous laissez les croquettes en libre-service, même si votre chat semble en manger très peu. La densité énergétique élevée des croquettes ne permet pas de contrôler la satiété des chats, ce qui en fait l’aliment le plus responsable de la surconsommation calorique. Dix grammes de croquettes en trop chaque jour se soldent par 400 grammes de poids pris sur une année.

– Une fois en surpoids, la régulation de la glycémie de votre chat devient de plus en plus compliquée. Les afflux de glucides seront moins facilement gérés que lorsqu’il était mince et en bonne santé. A mesure que son obésité s’aggrave, il risque de devenir intolérant au glucose. Et si son régime alimentaire comporte durablement trop de glucides (plus de 20 % selon moi), la fabrication de graisse est favorisée.

Pour faire machine arrière et faire maigrir votre chat, une restriction calorique même sévère ne suffira pas, contrairement aux dires des diététiciens « mécanistes ». La stratégie qui consiste à diminuer le niveau des croquettes, tout en les remplaçant par des croquettes hypocaloriques (pauvres en matières grasses) est vouée à l’échec. Nombreux sont les propriétaires de chats qui l’ont observé. Pour parvenir à faire maigrir durablement votre chat, il faudra d’abord diminuer de façon drastique la quantité de glucides ingérée chaque jour. Comment ? En optant d’abord pour une alimentation mixte, avec moins de croquettes et plus de pâtées (riches en protéines). Ainsi, on peut espérer abaisser le taux de glucides journalier global sous les 20 %. Par contre, en cas d’obésité sévère, il faudra viser 10 % et de fait… oublier les croquettes.

Pour conclure:

Selon moi, la prévention de l’obésité du chat passe obligatoirement par un contrôle du taux de glucides. Les glucides journaliers ingérés ne devraient pas représenter plus de 20% des calories totales, aussi bien pour prévenir l’obésité que pour la guérir. Cela oblige à recourir en tout ou partie à des aliments humides. Les croquettes doivent être limitées en quantité car elles favorisent la surconsommation calorique de façon générale, et glucidique en particulier. C’est le conseil que je préconise pour mes patients depuis plus de 15 ans d’exercice vétérinaire réservé aux chats. Pourtant, certains chats me font parfois mentir et parviennent parfaitement à réguler leur poids malgré un régime tout croquettes en libre service, mais ils sont une minorité.

L’impact des glucides dans l’obésité des chats continuera de faire débat pendant longtemps, faute de preuves inébranlables. C’est la même chose que l’implication du cholestérol dans les maladies cardiovasculaires chez l’homme, alors que c’est le sucre le responsable. Dans cette histoire, les intérêts économiques en jeux sont déterminants pour l’industrie du Petfood. Car leur appétit pour l’argent est inconciliable avec l’appétit des chats pour les protéines. La mis au point du Dr Laflamme est toutefois remarquable. Seul bémol, elle a travaillé plus de 25 ans chez Purina !

  • 1. D. LAFLAMME et al. Evidence does not support the controversy regarding carbohydrates in feline diets – JAVMA (2022)
  • 2. D. LAFLAMME– Understanding the nutritionnal needs of healthy cats and those with Diet-Sensitive Conditions – Veterinary Clinics (2020)
  • 3. A.S. GREEN et al. Cats are able to Adapt protein oxidation to protein intake provided their requirement for dietary protein Is met. J Nutr (2008)
  • 4. A.K. HEWSON-HUGUES and al – Geometric analysis of macronutrient selection in the adult domestic cat, Felis catus – The Journal of Experimental Biology (2011)
  • 5. D. RAUBENHEIMER, S.J. SIMPSON – Pourquoi les animaux ne font pas de régime (Ed. Les arènes, 2021)
  • 6. ASARO et al – Carbohydrate level and source have minimal effects on feline energy and macronutrient metabolism – J Anim Sci (2018)

Controverse en nutrition féline (1)

Vous l’avez constaté, mon blog a hiberné longuement. Vous avez certainement mis à profit cette dormance pour déguster mon excellent livre « Pour en en finir avec les croquettes pour chats ! ». Je reviens aujourd’hui avec une première série d’articles en réaction à une publication sur la nutrition des chats, parue en Septembre 2020 dans l’éminent recueil de référence Veterinary Clinics of North America. La section qui me fait réagir est intitulée « Mythes et idées fausses en rapport avec la nutrition féline » (1).

En 2021, les spécificités nutritionnelles du chat en rapport avec son régime carnivore ne sont plus remises en question par les nutritionnistes de l’industrie du Petfood. Toutefois, ces derniers ont parfois tendance à balayer d’un revers de main arrogant la controverse avec leurs détracteurs, qui ne partagent pas leur « philosophie » de l’alimentation industrielle pour les chats, celle-là même qui tente de concilier trois types de santé: celle des chats,  celle de notre planète, et celle, financière, de ces grands groupes agroalimentaires transnationaux. Pour ce dernier point, les résultats sont excellents.

L’objet de ces articles n’est pas de contester la justesse des propos du Dr LAFLAMME,  nutritionniste vétérinaire et chercheuse ultra-compétente, mais plutôt de pointer le dogmatisme de ses thèses, assénées comme des vérités scientifiques incontestables, ce qui est le propre du discours idéologique. Car ces vérités n’englobent pas toute la réalité. Elles sont réductionnistes, c’est à dire qu’elles ont tendance à réduire des phénomènes complexes à leurs composants les plus simples et à considérer ces derniers comme plus fondamentaux que le but recherché en nutrition préventive à savoir: permettre aux chats de vivre le plus longtemps possible, et sans maladie chronique.

Premier point de controverse: la digestion et l’assimilation des protéines végétales

« Les chats ne peuvent pas digérer ni utiliser les protéines végétales. » C’est le premier mythe remis en cause, et l’on comprend aisément que la problématique est de taille. En effet, pour préserver notre planète du réchauffement climatique et sauvegarder la biodiversité, il convient de trouver des alternatives aux protéines animales. La réponse de l’expert est la suivante: les protéines végétales issues du soja ou des glutens de céréales peuvent être rendues très digestibles par les procédés de cuisson industrielle modernes. Et même si ce sont des protéines dites incomplètes (déficitaires pour un ou plusieurs acides aminés indispensables), elles peuvent constituer une excellente base pour l’apport en protéines alimentaires pour les chats. Il suffira alors tout simplement de complémenter les aliments au cours de leur fabrication avec les acides aminés indispensables manquants comme la taurine ou la méthionine… des acides aminés de synthèse.

Les protéines végétales de médiocre qualité pour les chats

Ce sont les acides aminés soufrés et plus particulièrement la méthionine, qui sont les facteurs limitants des produits végétaux (pour les légumineuses surtout, car les céréales en contiennent davantage). Or, la méthionine est cruciale pour les chats. C’est le point de départ d’une soixantaine de réactions métaboliques, dont la fameuse néoglucogénèse. C’est aussi un précurseur de la cystéine (protéine des poils), de la taurine et de la félinine (phéromone indispensable au marquage urinaire). http://dietetichat.info/pourquoi-votre-chat-ne-sera-jamais-veggy/

On garantit ainsi que les aliments à base de protéines végétales sont complets et équilibré. Mais ça, c’est la théorie. Car en pratique, cette complémentation s’avère fréquemment défectueuse, comme en témoigne des analyses indépendantes auxquelles les fabricants ne sont pas tenus de soumettre leurs produits (2).  De plus, peut-on garantir que cette soupe industrielle ultra-transformée est saine pour nos matous ? En effet, la digestibilité des protéines végétales reste médiocre. Et même si on les soumet à un trempage et une cuisson au préalable, même avec les formes les plus purifiées (isolats), une proportion importante de protéines végétales résistera au processus de digestion. Cela s’explique par le fait que les graines de légumineuses et de céréales sont composées de cellules, encapsulées par une paroi très épaisse et rigide qui rend les protéines inaccessibles aux enzymes de l’estomac (les pepsines). De fait, leur digestion est ralentie comparée à celle des protéines animales.

Le chat a besoin de protéines à digestion rapide

Or, le chat a besoin de protéines à digestion rapide, car son intestin grêle est très court, comme chez tous les carnivores. Finalement, une partie importante de ces protéines, difficilement quantifiable, ne sera pas absorbée et arrivera intacte dans les parties terminales de l’intestin. Au mieux, la digestibilité des protéines végétales sera inférieure de 10 % à celles des protéines animales.

De plus, quid des acides aminées inutiles à l’organisme du chat? Ces acides aminés, en grand nombre dans les protéines végétales, ne pourront ni être utilisés pour la fabrication des protéines structurelles, ni recyclés pour fabriquer du glucose (le substrat énergétique cellulaire) grâce à la néoglucogénèse. Le recours à des protéines végétales est probablement responsable d’un gaspillage énergétique et azoté important. Et cela sera d’autant plus préjudiciable à votre chat que son appétit sera par ailleurs diminué (chat âgé, insuffisant rénal…). A cela s’ajoute aussi le fait que les protéines végétales sont moins appétentes que les protéines animales. Par précaution, il faudra donc éviter les aliments riches en protéines végétales dans les situations où l’appétit de votre chat est compromis.

Deuxième point de controverse: la digestion et l’assimilation des amidons

« Les chats ne peuvent pas digérer ni utiliser les glucides. » C’est le second mythe. Là encore, on comprend bien l’intérêt de la question. Si on peut substituer à une partie du carburant énergétique originel du chat, les protéines (qui sont « transformées » en glucose via la voie métabolique privilégiée des carnivores, la néoglucogénèse) avec un carburant moins cher et qui en plus préserve la planète, c’est tout « bénef » ! L’expert concède les spécificités métaboliques du chat (« aveugle » au goût sucré, équipement enzymatique déficient pour la digestion des glucides…). Toutefois, là encore, le traitement technologique des amidons (cuisson, extrusion) permet de les rendre digestibles à plus de 80 % chez le chat. Au point que l’amidon des croquettes est rendu aussi biodisponible pour le chat que le sucre que vous mettez dans votre café !

Effectivement, la cuisson affecte la matrice des amidons, c’est à dire la structure et l’architecture tridimensionnelle de ces polymères de glucose. Ils se gélatinisent, ce qui favorise l’accès et le traitement par des enzymes digestives (disaccharidases). Lorsque des aliments « sucrés », que ce soit des céréales, des légumineuses ou des fruits, sont ainsi transformés, on rend davantage assimilable (biodisponible) le glucose qui les composent. Cela a été largement démontré par des études in vitro.

Oui, mais les chats n’ont pas besoin d’autant de sucres

Cette optimisation de l’assimilation du glucose par l’organisme des chats doit cependant être contrôlée. C’est pourquoi on incorpore surtout des glucides dits « complexes » dans les croquettes « premium ». Leur index glycémique (une notion non avérée en médecine vétérinaire) serait ainsi réduit. Et le glucose dont la libération a été favorisée par la cuisson, passera dans le sang de façon plus graduelle… Magie ! Ceci n’est absolument pas démontré chez le chat. Soit le glucose reste enfermé dans des structures moléculaires complexes (réseaux de fibres glucidiques ramifiées, cellulose, hémicellulose, pectines), alors il n’est pas digéré par le chat et il ira nourrir la flore bactérienne (bénéfique ?) du gros intestin. Soit il est rendu assimilable de façon quasi-complète et rapide au niveau de l’intestin grêle. Or, les chats n’ont pas besoin d’autant de sucres. Alors dans ce cas, peut-on alors parler de bénéfice pour la santé des chats ?

Ces nouveaux ingrédients à la mode

L’ultra-transformation des aliments autorise l’incorporation d’ingrédients que le chat ne mangerait jamais naturellement, sans parler des additifs.

Quelles sont donc les nouveaux ingrédients à la mode, qui doivent vous interpeler ? En premier lieu, la star… le soja. C’est la principale source de protéines végétales dans l’alimentation animale. Pourtant, le soja contient de nombreux facteurs anti-nutritionnels, dont un non négligeable, la lectine… du gluten à la puissance dix ! Les plantes fabriquent les lectines pour se protéger des prédateurs, omnivores ou herbivores. Le chat, qui lui ne mange pas de végétaux à l’état naturel n’était pas visé, mais de fait il n’est pas épargné. Ainsi, trop de lectines peuvent favoriser la libération d’histamine, une réaction inflammatoire toxique qui perturbe la barrière intestinale en la rendant plus perméable.

D’autres légumineuses ont le vent en poupe, comme les pois ou des lentilles. Leur teneur élevée en protéines et leur amidons à faible index glycémique sont plébiscités chez l’homme. Toutefois, la cuisson-extrusion des légumineuses est moins efficace pour améliorer la digestibilité des glucides qu’ils renferment. Ils sont bien moins bien digérés (et digestes) que l’amidon contenu dans les céréales. C’est d’ailleurs ce qui les rend intéressant dans l’alimentation des humains qui ont un diabète de type 2.  Enfin, comme le soja, ces autres légumineuses récèlent des facteurs anti-nutritionnels, les saponines, les facteurs anti-trypsiques, l’acide phytique, la vicine-convicine…

Finalement, sans une cuisson forte qui détruit une grande partie de ces toxiques potentiels, les légumineuses (dont le soja) ne seraient pas consommables par un chat.

Méfiance chez les chats dits « sensibles »

Il est d’usage, à tort, de transposer les données de l’alimentation humaine à la nutrition des carnivores. A mon tour, permettez-moi d’utiliser ce biais pour étendre le débat à la santé des chats. Ainsi, il est à signaler que les légumineuses comme les pois ou les lentilles, sont peu consommés par les personnes souffrant de troubles fonctionnels du côlon (colopathie fonctionnelle). Or, s’il est une pathologie émergente chez les chats « modernes », c’est bien les M.I.C.I. L’acronyme M.I.C.I. signifie communément Maladie Inflammatoire Chronique de l’intestin, mais l’adjectif « chronique » est désormais remplacé par « cryptogénique »… de cause inconnue ! Bien entendu, un lien de causalité entre ces aliments et l’incidence croissante de cette affection chez le chat ne peut être établi. Mais on peut s’interroger sur la pertinence d’incorporer de tels ingrédients pour ces chats dits « sensibles ».

Dans le syndrome de l’intestin irritable de l’homme, on conseille de limiter les végétaux. Le blé, l’orge, la betterave, les légumineuses, les fruits, sont regardés avec méfiance.  Les composant en cause dans les troubles digestifs ressentis par les sujets humains sont les FODMAP (traduction française: « oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentescibles par la flore intestinale »). Ce sont des dérivés glucidiques de petite taille, très peu absorbés dans l’intestin grêle, mais fermentescibles dans le gros intestin, et sans bénéfice pour la flore intestinale.

Ultra-transformé ne rime pas avec santé?

L’assimilation des amidons et des protéines végétales n’est donc possible qu’après des traitements technologiques agressifs. Malheureusement, ceux-ci ont pour effet de déstructurer totalement la matrice des aliments. Et au lieu de se compléter avantageusement (effet synergique), les nutriments qui les composent perdent une grande partie de leur potentiel « santé » dans le magma moléculaire obtenu.

On sait notamment que les traitements thermiques (cuisson-extrusion) des graines neutralisent leur potentiel antioxydant tant vanté chez l’homme pour les fruits et légumes.

De plus, il semble qu’ils augmentent le potentiel alcalinisant des aliments. C’est un souci non négligeable pour les chats, que l’on expose davantage à la fameuse « vague alcaline ». Cette alcalinisation métabolique est amplifiée quand un chat ne fait qu’un ou deux gros repas par jour. Cela est propice à la formation des calculs urinaires de struvite. D’où l’usage généralisé de complémenter les aliments industriels avec des acidifiants chimiques. En fait, ce phénomème est principalement rencontré avec les régimes alimentaires riches en glucides, comme les croquettes. On n’observe pas cela avec les pâtées ou les rations ménagères.

Il a aussi été démontré chez l’homme que les traitement thermiques forts (type extrusion comme pour les croquettes) diminuent d’environ 20 % le potentiel lipotropique des produits alimentaires d’origine végétale (limitation de l’accumulation de graisses dans le foie). Or les croquettes « premier prix », riches en glucides et carencés en protéines de qualité, sont souvent impliquées (d’après mes observations personnelles) dans la survenue de la lipidose hépatique qui affecte les chats.

Enfin, l’impact négatif de ces glucides ultra-transformés sur la satiété est clairement démontré chez l’homme. Cela constitue un facteur de risque majeur d’obésité.

Pour conclure…

De ces deux premiers points de controverse, il faut surtout retenir que l’argumentation de l’auteure se cantonne à l’étage digestif. Or le chat n’est pas un simple tube digestif. L’article n’aborde aucunement le devenir de ces amidons et de ces protéines végétales dans l’organisme. Atteignent-ils  leur « cible organique » afin de réaliser leur potentiel santé attendu ? Sont-ils absorbés à la bonne vitesse ?  Prennent-ils la bonne voie métabolique ou sont-ils détournés, avant d’être éliminés ? Ensuite, tous ces nutriments végétaux ultra-transformés ne comportent-ils pas une part de toxicité ? Comme tout xénobiotique, au même titre que les médicaments ou les pesticides, il génèrent des déchets métaboliques qu’il importe de mieux connaître. Ainsi, on a pu observer récemment une recrudescence des cas de cardiomyopathie dilatée chez le chien, en rapport avec la consommation d’aliments riches en légumineuses (3).

La question principale est donc : « Ces nutriments non naturels ne favorisent-ils pas la survenue des affections chroniques qui touchent de plus en plus nos chats depuis quelques décennies ? » Par manque de preuves, ces questions continueront d’être contestées. Mais avec les prochains articles, nous irons encore plus loin pour « alimenter » ces sujets de controverse.

Références

  1. Dottie P. Laflamme – Understanding the Nutritional Needs of Healthy Cats and Those with Diet-Sensitive Conditions – Vet Clin Small Anim 50 (2020)
  2. Kanakubo and al. Assessment of protein and amino acid concentration and labeling adequacy of commercial vegetarian diets formulated for dogs and cats. JAVMA 2015.
  3. Sydney R Mc Cauley et al – Review of canine dilated cardiomyopathy in the wake of diet-associated concerns – Journal of Animal Science (2020).

« Limité en glucides »… le critère nutritionnel pour les chats.

 Le Gluci-score pour promouvoir les aliments les moins délétères pour les chats.

A partir d’avril 2017, un étiquetage nutritionnel va se généraliser à tous les produits humains vendus en supermarché, afin de nous inciter à acheter des aliments plus sains, moins gras, moins salés ou moins sucrés. Sur le même modèle, je propose donc le Gluci-score, un nouveau logo pour promouvoir les  aliments les moins délétères pour les chats.

Plutôt que la mention « sans céréales » qui doit mettre en alerte votre sens critique, il faut privilégier les aliments formulés selon le concept « Low Carb » pour les chats, c’est à dire limités en glucides. La mention « sans céréales » est un argument de vente non pertinent, alors que le taux de glucides est une véritable  information nutritionnelle. C’est probablement la pierre angulaire de la nutrition féline, tout le reste n’étant que détail.

Les aliments « Low Carb » respectent mieux les besoins des carnivores domestiques. De facto, ils sont aussi plus riches en protéines et incorporent moins d’ingrédients d’origine végétale de toute sorte. Toutefois, les croquettes ne  seront jamais la panacée. Mais si leur taux de glucides est maîtrisé, elles pourront participer à l’alimentation mixte de votre chat (bi-nutrition ou alimentation hybride). Continuer la lecture de « Limité en glucides »… le critère nutritionnel pour les chats.