Dessin de Philippe BERNARD.
L’obésité est aujourd’hui le principal fléau des chats domestiques. C’est dans les pays dits « développés » que l’on compte le plus de chats enveloppés, jusqu’à 60 % selon certaines études. Les chats urbains, plus sédentaires, y sont davantage exposés. Ayant moins l’occasion de s’adonner à la méditation contemplative en plein air, ils cultivent parfois un seul hobby, manger. Cela devient obsessionnel pour eux. Pourtant, l’obésité n’est pas une fatalité. Il suffit le plus souvent d’instaurer quelques mesures préventives, et ce dès la première année de vie du chaton.
Au passage, nous allons revenir sur la méthode g.u.E.P.A.R.D (acronyme pour les points clés d’une nutrition physiologiquement adaptée aux chats). Plus précisément, nous aborderons le point « R » dans cet article, « R » comme Rationnement ou Rythme des repas. C’est en imposant le plus tôt possible des bonnes manières et de saines habitudes alimentaires à votre chat, que vous lui épargnerez l’affront de futurs sobriquets comme « Bouboule » ou « Gros Patapouf ».
Les besoins nutritionnels du chaton.
Une fois sevré, vers 7 à 8 semaines, le chaton est apte à assimiler une alimentation proche de celle de l’adulte. Toutefois, afin de satisfaire à ses besoins de croissance (ostéo-articulaire notamment), il convient d’être particulièrement attentif aux apports énergétiques, protéiques, minéraux et vitaminiques. Les besoins du chaton, rapportés à sa petite taille, sont supérieurs à ceux de l’adulte. Et du fait de ses capacités d’ingestion réduites, son alimentation devra être plus concentrée que celle de l’adulte. Enfin, les nutriments devront être très digestibles et bio-disponibles.
Dans le commerce, les aliments complets spécifiques « croissance » ont donc tous en commun une grande richesse en protéines. Par ailleurs, ils sont globalement bien équilibrés en apport minéraux et vitaminiques. En contrepartie, il existe de grandes différences quant à la densité énergétique de ces aliments, c’est à dire le nombre de calories par gramme. Or, par définition, l’obésité résulte d’un excès de calories ingérées rapportées aux besoins journaliers. Et c’est là que ça se complique, car il est plus facile de restreindre l’apport calorique d’un chat adulte que celui d’un chaton immature en croissance.
Les articles scientifiques regorgent d’équations toutes plus sophistiquées les unes que les autres pour déterminer les besoins énergétiques des chats. Mais aucune d’entre elles n’est idéale. Le plus simple est d’évaluer objectivement, seul ou avec un vétérinaire, l’état d’embonpoint de votre chaton. Il est très fréquent que les chatons soient déjà bien dodus lorsqu’arrive l’âge de les stériliser. Donc, il est préférable de ne pas attendre cette échéance pour effectuer les premiers réajustements.
Les croquettes « croissance » ont une densité calorique excessive.
L’examen des étiquettes figurant sur les aliments est un exercice fastidieux et frustrant, car la teneur calorique n’y figure que rarement. Ainsi, les croquettes chatons vont de 330 à 450 kcal / 100 g et les aliments humides de 85 à 135 kcal / 100 g. Du point de vue de la concentration calorique, il y donc un rapport de 1 à 4 entre les pâtées et les croquettes. C’est la même différence qu’entre un cheeseburger (700 cal) et un filet de poulet de 125 grammes (150 kcal). C’est pourquoi, le régime « tout-croquettes » s’accompagne inévitablement d’une surconsommation calorique.
L’alimentation exclusive à base de croquettes est le premier facteur de risque clairement identifié de l’obésité des chats (1, 2). Et la solution de choisir les croquettes affichant le moins de calories est vaine. Car les croquettes ne sont pas des aliments rassasiants. Les nutriments qui participent le plus à la satiété du chat sont l’eau et les protéines. Le premier est absent des croquettes. Quant au second, il est présent sous une forme qui en ralentit la digestion, et retarde le signal de satiété envoyé au cerveau. Alors, confronté aux réclamations incessantes de votre chaton, vous vous résignerez à laisser les croquettes en libre-service, ad libitum.
L’alimentation en libre-service est de ce fait le deuxième facteur de risque de l’obésité des chats (1). Néanmoins, au début de la vie des chatons, les croquettes en libre-service peuvent se justifier. Nous l’avons évoqué, les chatons ont besoin de faire de multiples petits repas pour compenser le volume réduit de leur estomac. Et les laisser de longues heures en votre absence sans manger leur ferait courir le risque d’épisodes d’hypoglycémie, surtout pour les très jeunes. Et là, les croquettes peuvent s’imposer comme une solution pratique et hygiénique.
Comment diminuer sans douleur la note calorique ?
Dans ces conditions, même si les croquettes restent à disposition, plusieurs stratégies alimentaires peuvent aider les chatons à mieux réguler leur consommation volontaire de croquettes, pour « coller » au plus près de leurs besoins caloriques.
Afin de diminuer la densité énergétique globale de la ration journalière, la bi-nutrition est la solution la plus pertinente et la plus facile à mettre en oeuvre. En plus des croquettes, il faudra donner à votre chaton des aliments humides « chatons », sous forme de terrines, de mousses, de sachets fraîcheurs… Tous ont en commun un taux d’humidité compris entre 70 et 80 %, comme les proies dont se nourrit le chaton dans la nature. Cette eau contenue dans les aliments a la propriété de caler les estomacs les plus insatiables. C’est une évidence et c’est une des explications des bienfaits de la « bi-nutrition » pour la prévention de l’obésité des chats de tout âge.
Une autre alternative convient parfaitement aux chatons, c’est l’alimentation hybride. Cela consiste à complémenter les aliments industriels par des aliments naturels (viande ou poisson). Bon nombre d’éleveurs de chats de grande taille semblent y avoir de plus en plus recours (3). Chez les chatons nourris de cette manière, la prise de poids semble plus progressive et leur pourcentage de tissu maigre est supérieur. Et l’extrême digestibilité des protéines de viande favorise idéalement la fabrication des protéines structurelles pour les tissus et des protéines indispensables à l’immunité. Finalement, la croissance semble plus harmonieuse sans pour autant compromettre la taille des chats à l’âge adulte.
La stérilisation… un tsunami hormonal qu’il faut anticiper.
C’est bien connu, la stérilisation des chats, tous sexes confondus, s’accompagne d’un accroissement de l’appétit. Le taux d’hormones sexuelles, testostérone et oestrogènes, chute de moitié du jour au lendemain. Alors que d’autres hormones prennent le relais et favorisent le développement du tissu adipeux. De l’avis général, c’est la principale cause expliquant la prise de poids après la stérilisation (1,4). Plusieurs études ont démontré que pour rester au même poids, une chatte stérilisée devrait réduire de 15 à 30 % sa consommation énergétique. Autrement dit, ses besoins caloriques de base diminuent d’autant. A cela s’ajoute aussi l’influence négative de la stérilisation sur l’activité volontaire. Comme bon nombre de propriétaires l’affirment : « Depuis sa stérilisation, il (ou elle) bouge moins ! »
Mais c’est surtout l’alimentation en libre-service après la stérilisation qui est la principale cause d’obésité du chat. En effet, l’accès aux croquettes en libre-service se solde inexorablement d’une prise de poids de 15 % en moins de 3 mois après la chirurgie. Ainsi, la masse graisseuse du chaton qui représentait 12 % de son poids total avant la chirurgie, atteint 30 % à l’âge de 1 an. Et même si vous tentez alors de rectifier les choses, en contrôlant les quantités journalières ingérées, votre mission a toutes les chances d’échouer avec un régime « tout-croquettes ».
Et n’espérez pas non plus trouver la parade en troquant les croquettes « chatons » par des croquettes « chats stérilisés ». J’aurais même tendance à dire que ça peut être pire encore ! Dix croquettes, dix malheureuses petites croquettes de plus par rapport aux besoins énergétiques de base de votre chat, se solderont par une prise de poids de 400 g un an plus tard.
La stérilisation précoce aide à garder un poids idéal.
Le niveau de maturité sexuelle au moment de la stérilisation a une grande importance. Beaucoup de propriétaires et vétérinaires l’ont observé, les chats stérilisés très jeunes régulent beaucoup mieux leur consommation alimentaire volontaire. C’est ce que confirme une étude récemment publiée (4). Comparés à des chatons stérilisés aux alentours de quatre mois, les chatons stérilisés après six mois se mettent véritablement à dévorer et leur poids explose. Ainsi, il semble que l’effondrement des taux d’hormones sexuelles a des effets plus marqués à cet âge. C’est comme si l’organisme des chatons subissait une double influence: une diminution de ses dépenses énergétiques de base en rapport avec la stérilisation, mais neutralisée par un niveau élevé de dépenses énergétiques liés à la croissance.
Incontestablement, la stérilisation précoce permet de mieux contrôler la polyphagie, la principale modification comportementale alimentaire liée à cette intervention. Cet effet préventif à l’égard de l’obésité profite aussi bien aux mâles qu’aux femelles. Ainsi, c’est une évidence de plus qui doit inciter à adopter ce « standard », la stérilisation précoce. Et cela dans la perspective d’une meilleure santé et d’un plus grand bien-être pour les chats.
Finalement, que doit manger un chaton ?
Dès son plus jeune âge, il faut passer votre chaton à la bi-nutrition. En plus des croquettes laissées en libre-service, il faut donner au moins 100 g d’aliment humide par jour. Cette pâtée sera distribuée en deux ou trois repas, et additionnée de 2 à 3 cuillers à soupe d’eau versées dessus comme de la sauce. Vous pouvez donner plus d’aliment humide, sans toutefois dépasser 250 g par jour. Au delà, c’est aussi un facteur de risque de surpoids pour les années à venir (2).
A partir de l’âge de trois mois, n’hésitez pas à faire découvrir à votre chaton les délices de petits morceaux de viande ou poisson frais, cuits ou crus. Mais pas plus de 200 g par semaine, par précaution.
A 6 mois, il est impératif d’arrêter les croquettes en libre-service. Il conviendra de rationner progressivement les croquettes pour viser 30 g par jour après la stérilisation. La fréquence des repas est à adapter à votre mode de vie. Deux repas de 15 g, matin et soir, c’est parfait. Je conseille plutôt de donner les croquettes séparément de la pâtée, de façon différée d’au moins 30 minutes, pour profiter ainsi de l’effet satiétogène de l’alimentation humide.
Si votre chaton « réclame » sans cesse (en particulier à 4 heures du matin !), l’apport d’une collation d’environ 40 g de viande fraîche (ou jambon) avant le coucher contribue à une meilleure satiété.
Enfin, il faut stériliser votre chaton le plus précocement possible.
Pour apprécier objectivement l’état corporel de votre chat, une consultation vétérinaire s’imposera à l’issue de la première année. Il sera alors encore temps de rectifier les habitudes alimentaires de votre chat, pour qu’il retrouve son poids idéal.
Références:
(1) Jennifer A Larsen – Risk of obesity in the neutered cat – Journal of Feline Medicine and Surgery (2017)
(2) Rowe EC et al. – Early-life risk factors identified for owner-reported feline overweight and obesity at around two years of age. Prev Vet Med. 2017
(3) BARRIER OLL – Rationnement et races de chats enquête auprès des éleveurs félins français – Thése ENV Nantes (2016).
(4) Allaway D et al. – The impact of time of neutering on weight gain and energy intake in female kittens. J Nutr Sci. 2017