Le régime carnivore est celui que le « chat sauvage » a adopté depuis des millénaires pour survivre dans son environnement. En outre, son comportement alimentaire lui confère le statut de prédateur, de chasseur strict même. En dépit des apparences, le chat sauvage n’est guère différent de celui qui trône dans le fauteuil club de votre salon.
L’étude des prélèvements alimentaires du chat dans son biotope, a permis de décrire les grandes dominantes de ce régime carnivore, adaptées à son métabolisme spécifique.
Une bonne dose de protéines…
Pour faire simple lors de mes consultations, je compare souvent le chat à une « usine à protéines » qui pratique les trois -huit. En effet, le métabolisme du chat ne ralentit jamais. A toute heure du jour et de la nuit, qu’il soit au meilleur de sa forme ou affaibli, il doit assurer son autonomie en énergie. Et son carburant, ce sont les protéines.
Comme les autres mammifères, l’énergie utilisée au niveau cellulaire est le glucose. Mais chez le chat, ce glucose provient pour l’essentiel de la destruction des protéines. La fabrication de glucose à partir d’une autre source que les glucides (protéines ou lipides) s’appelle la néoglucogénèse. Elle s’accélère dès la fin du repas, et ne s’arrête jamais. Et cela qu’il y ait ou non suffisamment de matières premières, les protéines. Pour les autres espèces animales (le chien par exemple), la néoglucogénèse reste une option facultative.
Dans la nature, notre petit carnivore trouvera son quota de protéines en consommant ses proies. Par contre, en période de disette ou si son régime alimentaire est pauvre en protéines, il devra puiser dans son propre capital, ses muscles. Au final, le régime du chat devrait comporter plus de 60 % de protéines (rapporté à la matière sèche ingérée). Deux fois plus que pour un chien (*). Pas pour augmenter ses performances athlétiques… uniquement pour survivre!
avec les meilleurs acides aminés,…
Cette exigence en protéines en impose d’autres. Ainsi donc, il faut pouvoir « recycler » les déchets de cette utilisation massive de protéines. C’est un recyclage biochimique, « tournant » lui-aussi à une cadence infernale. On l’appelle d’ailleurs le cycle de l’urée. Il empêche l’organisme de s’intoxiquer en ammoniac, un déchet hautement toxique pour le cerveau. Le contre-maître de cet atelier hyper-productif est un acide aminé, l’arginine. Un repas sauté, pas assez d’arginine et l’ammoniac lui monte à la tête: agitation, nausée…
En comparaison des autres mammifères, le chat doit aussi trouver des quantités considérables d’acides aminés dans son alimentation. Ceux dits soufrés, la méthionine et cystéine, indispensables pour le pelage principalement. D’autres ne peuvent pas être synthétisés, ce sont les acides aminés « indispensables ». Ils sont au nombre de dix, plus un, la taurine (pas tout à fait un acide aminé). De sorte que le chat est strictement dépendant de ses apports alimentaires pour la taurine.
des huiles animales ultraperformantes,…
Comme tous les mammifères, les chats ont besoin d’acide gras dits « essentiels »: des omega 6 (acide linoléique, acide linolénique, acide arachidonique) et des oméga 3 (EPA, DHA). Pour faire simple, le chat ne sait pas synthétiser les trois derniers.
et survitaminée.
La voie métabolique préférentielle du chat pour raffiner son glucose (la néoglucogénèse), demande un régime survitaminé, sans quoi la mécanique s’enraye. A chaque étape du processus, une enzyme spécifique est activée en collaboration avec des petites molécules, les vitamines. C’est pourquoi le chat a des besoins quatre fois supérieurs à ceux du chien en vitamine B1(thiamine), vitamine B3 (niacine), vitamine B6 (pyridoxine) et vitamine B9 (folate). .
Enfin, le chat a des besoins exclusifs. De la Vitamine A préformée (impossible pour lui de la fabriquer à partir des carotènes des carottes) et de la vitamine D qu’il ne fabrique pas au niveau de la peau.
En conclusion, question à mille francs, quel aliment répond à toutes ces exigences de notre petit carnivore? Je vous laisse réfléchir…
La viande, surtout de la viande.
Les besoins nutritionnels uniques des chats reflètent leur adaptation millénaire à un régime « tout viande ». Et l’arginine, les acides aminés soufrés, la taurine, l’acide arachidonique, EPA, DHA, les vitamines A, B et D sont pléthoriques dans la viande, et les tissus animaux.
Et il n’y pas d’autres substituts possibles. Les graines de légumineuses (soja, haricots, pois, lentilles) et les céréales dans une moindre mesure, constituent des sources protéiques de médiocre qualité pour le chat. De même que les huiles végétales, comme le colza, sont inadaptées pour répondre aux besoins spécifiques du chat en acides gras essentiels.
Carnivore, c’est passé de mode?
Évidemment, avec la domestication, la prédation a été reléguée à une activité de loisir. De sorte que les chats ont dû s’adapter à de nouveaux modes d’alimentation.
Au contact de l’homme, les chats ont découvert de nouvelles sources de régalade. D’abord, ce fut de délicieux compléments sous forme de restes de table. Puis, ces mauvaises habitudes alimentaires se sont disciplinées, codifiées, pour s’élever à la notion d’alimentation ménagère. Succulente, mais empirique, comme le frichti cuisiné par nos arrière-grand-tantes, avec du « chinchard filandreux, de la nouille collante et de la queue de poireau ». Enfin est venue l’époque des rations sur mesure, calculées, équilibrées, mais compliquées, avec de la taurine de synthèse, des CMV (complément minéral vitaminé).
Pour cette raison, la majorité des maîtres a préféré confier la besogne à des ingénieurs. Ces derniers furent chargés de produire à la chaîne et à moindre coût, des repas pour cette meute d’affamés privés de permis de chasse. De surcroît, ces ingénieurs-nutritionnistes, en mal de créativité, ont donné libre cours à leur imagination (parfois délirante) pour concocter des assemblages savants.
Cependant, cette alimentation industrielle est-elle encore à-même de couvrir les besoins alimentaires du chat? Et en tentant de s’adapter au « chat moderne », plutôt inactif et vivant à l’intérieur, l’alimentation industrielle ne s’est-elle pas éloignée du régime ancestral du chat? Les recommandations nutritionnelles suivies par les fabricants d’aliments garantissent-elles le strict respect des caractéristiques fondamentales d’un régime carnivore? C’est ce que nous nous attacherons à évoquer dans le prochain article.
Références:
(*) Plantinga EA, Bosch G et Hendriks WH. « Estimation of the dietary nutrient profile of free-roaming feral cats: possible implications for nutrition of domestic cats ». Br J Nutr. 2011 Oct